La DCE: le bon état des cours d’eau en 2015 une galéjade ?

Il s'agissait bien d'une chimère. (en rouge: remarques le 13/12/2013)

La directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE), couramment désignée DCE, est une directive européenne prise le 23 octobre 2000. L’objectif est de prévenir et de réduire la pollution des eaux, de promouvoir son utilisation durable, de protéger l’environnement, d'améliorer les écosystèmes aquatiques (zones humides) , d'atténuer les effets des inondations et des sécheresses. La DCE établit un cadre pour une politique globale communautaire dans le domaine de l’eau. La réglementation européenne oblige les Etats membres de prendre des dispositions qui doivent concourir à la protection des ressources en eau douce, ou salée, superficielles ou souterraines, de transition et côtières. Des objectifs louables. Mais jamais la DCE ne réclame et encore moins n'exige la suppression des seuils, des barrages et des étangs.

Sur les modalités prises par la France, nous avons quelques observations sur les délais, les indicateurs, les diagnostics, les coûts, la rhétorique et une analyse divergente des priorités. C’est tout. Par contre, nous souhaitons le plus d’eau possible de la meilleure qualité possible. On ne peut pas être plus clair.

La charge de la preuve

Côté politique, il faudra prouver en 2015 que l’on aura vraiment tout tenté, alors que l’on savait pertinemment que l’on ne retrouverait pas la qualité de l’eau de 1960 (il faut admettre que le processus est extrêmement complexe d’autant que des éléments multifactoriels interfèrent). A défaut de changer les paradigmes, il est plus simple de changer les règles, d’employer des termes édulcorés "on s’efforcera de...", ou de modifier les indicateurs et les normes. On sait que nous n’avons plus les moyens de rêver à des objectifs ambitieux en terme environnemental car la machine s’est emballée depuis 1970.

A la grande suspicion initiale, prudence est mère de sureté : il convenait de créer un cadre soft, de bouleverser l’économie le moins possible et surtout, de ne pas tendre le bâton à l’UE pour se faire battre ni trop tôt ni trop fort et la France espère donner le change de cette manière. Hélas, les rapportages  sont très mal notés et sévèrement critiqués par l’UE qui ne semble pas dupe. De lourdes amendes risquent de pleuvoir.

L’idée

La stratégie consiste à ne pas s’attaquer à ce qui est invisible, c’est à dire la qualité chimique, pourtant la plus invalidante pour les milieux. Pas question de s’attaquer au lobby de la chimie. Le diagnostic s’acharne donc sur l’aspect  physique des cours d’eau, l’hydromoprphologie. Cela concerne beaucoup moins d’intervenants, ce sera beaucoup plus simple et spectaculaire. Bien plus probant… mais absolument pas déterminant.

les coûts

Les finances publiques, censées dépenser à bon escient voire faire des économies au lieu de jeter l’argent par centaines de millions d’euros dans les rivières au titre de la continuité écologique, se trouvent lourdement mises à contribution sans aucune garantie de résultat. Cette très forte mobilisation de fonds publics au service du dogme de l'hydromorphologie, l'oligarchie de l'eau tente en 2013 de la justifier par un large soutien démocratique. Peine perdue: le meilleur score de réponse aux questionnaires orientés des Agences de l'eau atteint très péniblement 0,05 %.

Les effets induits 

A force de répéter et de colporter des assertions concernant des facteurs techniques maléfiques qui ne gênaient personne avant 2005, elles deviennent vérités, puis des priorités et enfin des "enjeux majeurs"…Nous regrettons de ne pas avoir noté depuis 1970 tous les "enjeux majeurs" qui ont été évoqués…à peine cités, aussitôt oubliés. Par contre, les effets tombent comme un couperet sur les propriétaires des seuils, barrages et étangs.

  côté administration :

- bref rappel des faits; il est très frappant d’observer le réseau hydrographique sur une photo aérienne : on ne voit que des traits rectilignes. Après 1970, tout a été mis en œuvre pour évacuer l’eau le plus vite possible vers l’océan, comme si elle était nuisible. De fait, les agriculteurs labourent dans le sens de la pente, mieux: drainent toutes les parcelles. Ils comblent 98% des mares réputées inutiles avec souches et clôtures provenant des haies arrachées, avec les anciens engins agraires et carcasses de vieux véhicules qui encombraient les abords des fermes depuis la guerre. Méandres des ruisseaux rectifiés et émissaires calibrés avec des fonds publics délivrés généreusement par les DDAF lors des remembrements et des fameux  "travaux connexes". Aucune région n’échappe à cette frénésie. A l’époque, pas d’espèces sensibles, ni de chauves-souris dans les haies ni de vie aquatique dans les ruisseaux…on a vérifié. Toutes ces bestioles sont apparues bien après : à l’occasion des inventaires et classements de Bruxelles sur les espèces menacées et  les sites d'intérêt. Les zones humides devaient être drainées : par les forestiers pour planter de l’épicéa de sitka avec subventions du FFN (Fonds forestier national), par les éleveurs pour augmenter les surfaces d’herbages aux fins de toucher les primes PAC.

- après le "2005 du nouveau concept", on s’empresse d’inventorier chaque petit ru. La moindre rigole équipée d’une grenouille (une grenouille = vie aquatique) est élevée au grade de "cours d’eau" pour lui opposer le Code de l’Environnement. On imagine débarrager les barrages et décalibrer les profonds fossés victimes de l’érosion. Le tamtam gronde: plus question de créer quoi que ce soit, ce serait néfaste pour la nature! Dans de très nombreux cas, le discours et les avis outrepassent les textes pour dissuader les pétitionnaires et mettre les élus au garde à vous.

 côté ONG : branle-bas de combat : un programme exhaustif évoque "gestion globale des écosystèmes aquatiques, taxes, redevances, tarification, eutrophisation, espèces amphihalines, interdictions, arasement des seuils, restauration de la monarchie écologique physique des cours d’eau"… elles ont l’air d’être persuadées que ce sont les uniques bonnes solutions pour recouvrer une eau de qualité.

 De nouvelles "certitudes" incohérentes

> les étangs créés par les moines deviendraient tout à coup "néfastes" pour l’environnement. Pourtant la queue d’étang est souvent une tourbière très riche sur les plans entomologique et floristique que la DREAL s'empresse de classer,

> les barrages ("seuils" dans le jargon professionnel) qui ont l’impertinence de modifier l’hydromorphologie, deviennent subitement de méchants intrus sur la rivière. Pourtant, les milliers de moulins édifiés grâce à une astucieuse ingénierie, au prix de gros efforts manuels, valorisant la force hydraulique depuis des siècles, préfigurant l’industrialisation de la France, constituent ce que l’on appelle désormais le patrimoine rural. Jouissant d’un fort impact social, apprécié de tous: un sentier pédestre digne de ce nom doit chercher à se rapprocher au plus près d’un étang ou d’un moulin,

> on trouve des financements dans les caisses archipleines des Agence de l’Eau pour effacer ces ouvrages édifiés à grand peine et par besoin . Dans quelques années, nos enfants les reconstruiront par nécessité pour les équiper de turbines, pour créer des réserves d’eau et obtiendront des subventions.

> sur les espèces piscicoles: malgré tous ces obstacles artificiels beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui, les espèces piscicoles étaient abondantes jusque dans les années 60. Quel argument fallacieux de prétendre "rouvrir les rivières aux poissons migrateurs"… décimés par la pollution, la surpêche et le braconnage.

> curieuses incohérences que cette passion quasi unanime pour les moulins, cette forte attirance sociale pour les plans d’eau et ce grincement de dents récent de l’Administration et des ONG sur les seuils et les barrages sans lesquels étangs, lacs et moulins n’existeraient pas ! 

> faire tant d'efforts pour des poissons destinés non pas à recoloniser leur aire naturelle mais à satisfaire le pêcheur et de ne jamais avoir étudié l'impact réel des prédateurs introduits pour le plaisir du trophée. L'exemple du silure est significatif. Quel est son taux de conversion? Combien de saumons et d'aloses à la montaison a-t-il dévoré avant de peser 100kg?

> cette grande désinvolture de larguer des millions de m3 de sédiments pollués, de ne même pas avoir étudié les impacts en aval et de déplorer les bouchons vaseux dans les estuaires,

> extraordinaire incohérence d’un discours expliquant doctement les méfaits de ces ouvrages, alors que toutes les municipalités, Comcom, Conseils Généraux, Conservatoires des Espaces Naturels (CEN), FD de pêcheurs en sont propriétaires ou n'ont de cesse d'en acquérir,

> le Préfet qui signe des autorisations d’arasements de seuils et qui prend des arrêtés, justifiés, par l’impérieuse nécessité de conserver de l’eau en période d’étiage sévère. C'est incohérent car les réserves d'eau n'existent qu'après des aménagements. Une rivière "sauvage" laisse filer jusqu'à sa dernière goutte, l'eau vers l'océan. vrai ou faux?

> la hiérarchisation des nuisances : les prétendues altérations morphologiques des cours d’eau seraient néfastes en 2011et l'objet de lourdes sanctions pénales. Elles étaient vulgarisées et subventionnées il y a encore peu de temps. Les pelleteuses dans la boue irisée de gas-oil, enlisées jusqu’à la tourelle, arrachaient les aulnes, rectifiaient les méandres et façonnaient un nouveau lit de la rivière à l’endroit où l’homme avait décrété qu’elle devrait couler. Franchissez aujourd’hui un ruisseau en tracteur et écrasez trois gammares et vous êtes cuit. Pourtant les travaux engagés sous couvert de la continuité écologique s'affranchissent de tous les interdits.

méthode écologique innovante

méthode écologique innovante

> l'absence d’équité des DDT sur les exigences extrèmes pour le moindre chantier d'aménagement, à commencer par l'instruction de l'étude où le moindre élément est contesté, par rapport à une lecture beaucoup plus complaisante quand il s'agit de détruire un ouvrage sans dossier de demande d'autorisation robuste d'étude des impacts,

> sur l’échelle des sanctions. Attention : une atteinte à l’intégrité physique d’un cours d’eau est plus sévèrement réprimandée qu’une grosse pollution chimique. Seuls 1% des pollueurs sont inquiétés. Les grévistes de Givet en 2000 qui déversent 5000 litres provenant d’un stock de 56 000 litres d’acide sulfurique dans la Meuse savent que leur menace aura un écho et qu’ils ne risquent rien. Comment l’ONEMA imagine-t-il être crédible avec les malversations au sommet et dresser des PV sans discernement sur le terrain ? Dresser des PV sur le fondement des art L.214-17 et 432.6 du CE pour un minuscule seuil non équipé de passe à poissons et fermer les yeux quand un étang public de 30ha largue 2000m3 de sédiments dans un bassin de rétention (avec balles de paille "conformes") d’une capacité de 250m3 ?

 Ce plaidoyer à peine dissimulé pour les étangs et moulins, déplore que le sujet de l’étude physique d’un cours d’eau soit désormais examiné au microscope alors que l’on détourne pudiquement le regard des facteurs chimiques.

Pourtant, il parait que l’on trouve dans l’eau claire des pesticides, des nitrates, du phosphore, des perturbateurs endocriniens, du pyralène et autres métaux lourds ? pfutt…Grand Dieu…d’où cela pourrait-il bien venir ?  Si des enquêtes semblent nécessaires on pourrait peut-être en commanditer vers 2021…

Entre les paysans ayant un recours massif aux intrants, le particulier utilisant des produits hautement toxiques vendus sans aucun contrôle pour désherber sa cour, le Maire de la Commune, les Présidents de Collectivités Territoriales qui abondent la ligne budgétaire des produits chimiques…on s’interroge sur la réelle volonté d’agir. Laxisme, ignorantus, ignoranta, ignorantum sur l’écologie technique?… assurément ! Que dire des sociétés d’autoroute et de la SNCF ? La force de l’habitude, de la facilité, du lobbying du vendeur… ou le culte du prix de revient des entretiens au mépris de l’environnement ?  Et les stations dites d’épuration ? Sans oublier la ménagère qui ajoute quatre doses de lessive chimique dans sa machine à laver alors qu’une seule suffit…est-ce nécessaire d’ajouter à ce tableau l’impact industriel ? Tous des utilisateurs désinvoltes.

Suggestions :

1)   se préoccuper en priorité du facteur chimique,

2)   au lieu de payer a posteriori, prenons le problème en amont et évitons la pollution et l’érosion de manière préventive en modifiant les pratiques,

3)   pour le volet physique: les obstacles dans le cours d’eau doivent faire l’objet d’aménagements pour ne pas empêcher la circulation des espèces piscicoles et permettre le transit sédimentaire,

4)    l’inventaire des seuils "sans fonction apparente en 2010"  peut-être intéressant dans la mesure où on envisage de les revaloriser … mais si cet inventaire prétend les araser, c’est du  gâchis. Nombreux sont ceux qui ont dû cesser leur activité depuis 1960 (évolution technique, exode rural…) mais il ne faudrait pas oublier qu’ils ont rendu de précieux services depuis des siècles.…et qu’ils pourraient  recouvrer des fonctionnalités comme par exemple les très nombreux  sites sauvés de la ruine, avec des impacts favorables sur la revitalisation du territoire rural, l’emploi… par rapport aux hypothétiques "avantages", insignifiants, jamais chiffrés de l’arasement.

5)   pour pallier les effets des sécheresses et éviter un étiage douloureux, chaque ruisseau pourrait être accompagné de son chapelet de réservoirs soutien d’étiage. Inutile de caricaturer une réserve de 5 000 m3 au motif que ce n’est pas sérieux. Elle peut être complétée par une autre de 100 000 m3 en aval. Tout est proportionnel au module de la rivière. La méthode ACA (Analyse Coûts/Avantages) devrait éviter les dérives technocratiques car l’aménagiste ne sait plus faire les choses simples:  il "doit" imaginer, pour être crédible, un gros dossier... pas des bricoles. Nos anciens appliquaient la méthode ACA au quotidien : un ouvrage installé au meilleur endroit, procurant le meilleur rendement. Exemple: une digue la plus courte possible pour la plus grande surface en eau créée. Ils déplaçaient l’argile à la brouette…cela affûtait nécessairement leur bon sens. Pour créer des retenues d’eau, de très nombreux sites potentiels existent, à commencer les barrages d’étangs éventrés à la révolution et jamais remis en eau.

On évoque les services rendus par les actifs naturels... ce serait l’occasion d’en estimer la valeur d’usage puis de contractualiser avec les propriétaires qui restitueraient l’eau quand la collectivité en a besoin. Sinon, nous fabriquerons des oueds (comme ce ruisseau dans le centre de la France  début 2011)

ruisseau à sec

ruisseau à sec

le saumon:  "la source est-elle encore loin? Je suis épuisé et j’ai très mal aux pieds"   le riverain:  "non, 8km à vol d’oiseau".

Les cours d’eau doivent être gérés, protégés et les seuils aménagés. Mais cette excitation générale sur la "continuité écologique" apparait bien dérisoire quand il n’y a plus une goutte d’eau dans la rivière… quand on a vu la Loire réduite à un filet de quelques mètres de large d’eau verdâtre, maintenue in extrémis en survie pour… alimenter les centrales nucléaires.

Epilogue :

Ne soyez pas inquiets…les bases  informatisées de l’état des lieux lacunaire de 2004 ne pourront pas être décryptées par l’ordinateur de 2027. Les auteurs ont une mémoire sélective et auront d’autres indicateurs. L'UE, par incapacité d’atteindre les objectifs DCE en 2015, infligera des amendes aux Etats membres, puis modifiera ses exigences (*). Et si le tableau n’était pas présentable en 2027, il y aura des régimes dérogatoires jusqu’en 2060…Entre le diagnostic et les mesures inadaptées, cet échafaudage branlant apparaît peu crédible. L’état des eaux et des stocks de poissons confirment la lecture de la continuité écologique que nous avons sur le terrain. Mais que de temps gâché en circulaires, notes, discours, rapports, contentieux, réunions et articles divers. Mais toujours pas d’étude sérieuse sur l’ACA et sur les réels impacts environnementaux.

Le traitement de l’eau polluée aux pesticides coûterait 54 milliards d’euros/an. Le coût de la dépollution complète des nappes phréatiques serait supérieur à 522 milliards d’euros…bagatelles. Se focaliser sur l’aspect physique d’un cours d’eau n’aura aucun impact sur la qualité des eaux.

Il nous semble bien, depuis 2000, que les facteurs dégradant la qualité de l’eau soient très mal ciblés…Ne serait-ce pas une bonne chose de desserrer les mâchoires de l’étau puisque la proie n’est pas la bonne?

Nous ne pourrons pas éviter de répondre clairement à ces  trois questions :

1)   pour l’hydroélectricité (PCH) ou pour le nucléaire?

2)   pour de l’eau dans nos rivières ou pour des rivières sans eau ?

3)   et vraiment accessoirement : quand s’occupe-t-on de la qualité chimique de l’eau?

 

Lire: http://cedepa.fr/dce-epistemologie/

http://cedepa.fr/continuite-ecologique/

 

 

NB : cet article terminé, nous découvrons  un rapport accablant de la Cour des Comptes qui épingle en 2010 la mauvaise gestion de l’eau en France et la politique inefficace mise en œuvre pour atteindre les objectifs de qualité de l’eau. Elle met en doute de la volonté de l’Etat de remettre en cause l’agriculture intensive, afin de diminuer les nitrates, pesticides et engrais qui polluent les cours d’eau, les nappes phréatiques et le littoral

(*) Nous y sommes! :  la DEB devrait être moins stressée. Elle dispose de 13 ans de plus !  rapport PDF ici:  IERPE_Memorandum_politique_europeenne_de_l_eau_L  Comment imaginer qu'il en fût autrement?  Il fallait bien reporter les échéances! Tous les discours convaincus de ceux qui s’acharnaient avec exaltation uniquement sur les seuils au titre de la DCE deviennent dérisoires. Ces atermoiements décrédibilisent les diagnostics et les échéanciers initiaux. Mais cette fois, la prudence commence à s'installer: au lieu de 2021, l'UE va viser plus prudemment 2027...puis... 2060?

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