Gestion de la pêche récréative en France : un demi-siècle d’incompétence et de gabegie

Si l’on en croit les instances officielles de la Pêche en France, en dépit de quelques petits problèmes et notamment une baisse constante et ininterrompue depuis 49 ans (année record en 1964) du nombre de pêcheurs, l’organisation qui gère la Pêche et les milieux aquatiques dans notre pays (FNPF) reste toujours « la meilleure et la plus démocratique du monde ».

C’est du moins ce que ressassent depuis plus d’un demi-siècle, les différents présidents qui se sont succédé à la tête de l’Union Nationale de la Pêche en France (UNPF), devenue en 2006 la Fédération Nationale de la Pêche en France (FNPF).
Pour avoir personnellement connu en tant que membre d’une APP puis d’une AAPPMA, mais également en tant que journaliste, les règnes des Présidents Martini, Solhelac et maintenant Roustan, je ne me rappelle pas une seule fois
en quarante-cinq ans, avoir entendu l’un ou l’autre de ces dirigeants de la Pêche française, remettre en question leur gestion ou même les structures de la Pêche associative (sous le couvert de la bonne vieille Loi de 1901).

Et pourtant au cours des 45 dernières années, je n’ai dû rater que six ou sept fois les grandes messes que sont les Assemblées générales annuelles des fédérations de Pêche, suivies de conférences de presse.

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En 50 ans on est passé de presque 3 millions de pêcheurs à certainement moins d’un million aujourd’hui.

Qu’au cours de ce demi-siècle écoulé, où répétons-le, le nombre de pêcheurs en eau douce est passé de presque 3 millions à certainement moins d’un million aujourd’hui (soit une perte des deux tiers des effectifs), les dirigeants « élus » des pêcheurs trouvent bien évidemment, de bonnes raisons de se conforter dans leurs présidences mais estiment que cette baisse ininterrompue est due à des facteurs indépendants de leur volonté et de leur gestion, passe encore ! Mais que la bonne vingtaine de ministres de l’Environnement qui se sont succédé au cours de la même période et ont presque toujours assistés à ces assemblées générales, n’aient jamais rien trouvé à redire sur cette gestion associative qualifiée de « meilleure et plus démocratique du monde », est inquiétant et significatif de la façon dont nos élus politiques gouvernent. Pas plus d’ailleurs que les ministres de l’Environnement et leurs nombreux directeurs de Services, les différents présidents du CSP (Conseil Supérieur de la Pêche) n’ont trouvé à redire à cette gestion.

Au cours du demi-siècle écoulé, ils ont entériné pratiquement toutes les décisions (les fameux « vœux ») des pêcheurs, souvent contre l’avis de quelques ingénieurs compétents de leur service.

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L’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques) qui a remplacé, il y a quelques années, le CSP, n’aurait paraît-il plus droit au chapitre en matière de pêche (le mot n’apparaît plus dans son intitulé) ni même de réglementation !

Les garde-pêche devenus « agents » de l’Onema, qui déjà du temps du CSP ne contrôlaient pas beaucoup les pêcheurs (en cinquante ans de pratique assidue au bord de nos ruisseaux, rivières, fleuves ou plans d’eau, je n’ai été contrôlé qu’une fois et encore par les gardes de la Brigade Mobile du Saumon, un jour d’ouverture à cette espèce), seraient-ils d’ailleurs encore habilités à le faire ? En tous cas, ils ont bien assez de leur 35 heures hebdomadaires, à essayer de faire respecter les lois sur l’Environnement et la protection des milieux aquatiques, pour en plus vérifier si le pêcheur croisé au bord de l’eau (encore faudrait-il, qu’ils y aillent…) est à jour de ses cotisations et respecte la réglementation en vigueur.

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Mise en œuvre et application de la réglementation halieutique.

Et pourtant la gestion de la Pêche récréative, relève essentiellement de la mise en œuvre et de l’application de règlements qui ont fait leurs preuves dans la plupart des pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Irlande, Autriche, Scandinavie, Espagne…) qui connaissent la valeur du tourisme-pêche. L’augmentation des tailles légales de capture, la limitation du nombre de prises, la création de parcours « No-Kill », l’interdiction ou du moins la limitation de certains modes de pêche destructeurs et incompatibles avec une gestion salmonicole (asticot et teigne pour la truite, petite bête et autres larves pour l’ombre), permettraient rapidement à nos rivières de retrouver un standard européen en matière d’halieutique.

Ce n’est pas avec un prix moyen en 2013, de carte annuelle de pêche de 85 € (ce qui met dans les eaux de première catégorie, la journée de pêche aux salmonidés à moins de 50 centimes d’euro), permettant de prendre dans certains départements un nombre illimité de truites, dans d’autres vingt ou au minimum dix par jour, que l’on peut raisonnablement gérer une ressource aussi fragile et précieuse.

Soit les pêcheurs français accepteront de payer un peu plus cher pour leur loisir et le droit de conserver quelques beaux poissons, soit il leur faudra apprendre à pêcher en « No-Kill ».

Il n’est pas normal que celui qui désire prélever des poissons, paye le même prix que celui qui les relâche. Dans les lieux de pêche foraine (eaux closes) les pêcheurs payent au poids les truites de pisciculture qu’ils ont capturé et qu’ils désirent emmener.

Sur les parcours de type réservoir, la journée de pêche est en moyenne facturée autour de 40 ou 50 €, quelquefois beaucoup plus. Or ces types de parcours ne cessent de se développer dans notre pays, et les pêcheurs qui les fréquentent sont de plus en plus nombreux. Preuve s’il en fallait une, que malgré les acquis de la révolution de 1789, les Français sont comme leurs collègues des autres pays européens, prêts à payer, même assez cher pour un loisir pêche de qualité.

Les mentalités en effet ont évolué.

Les pêcheurs de ce début de troisième millénaire, recherchent plus dans leur loisir, un sport voir un art de vivre, qu’un moyen de remplir à bon marché un congélateur. Les « viandards », ne font plus la loi, même si dans certaines régions, comme le Sud-Ouest ou les Pyrénées, les « asticotiers » semblent se retrancher dans ce qui risque d’être leur dernier bastion.

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Comment est dépensé l’argent des pêcheurs?

Pour en revenir à la façon dont est dépensé l’argent des pêcheurs —autour de cent millions d’euros annuellement— il nous faut ici distinguer, l’argent des cartes de pêche, de celui des taxes piscicoles devenues avec la création de l’Onema, des « contributions à la protection des milieux aquatiques ». Au temps du CSP, les salaires des gardes comme on les appelait encore et des ingénieurs de « Régions piscicoles», étaient, avant que la baisse continue des cartes de pêche, n’y pourvoit plus, payés avec l’argent des taxes piscicoles.

Dans les années 80-90, alors que le nombre de pêcheurs avait déjà diminué de moitié au cours du quart de siècle précédent, quand dans le même temps les indices des salaires de la fonction publique ne cessaient d’augmenter, il a fallu que l’Etat mette la main à la poche, pour renflouer le CSP.

Mais là encore aucun des ministres de l’Environnement n’y trouva à redire.

Seul Michel Charasse ministre du Budget du Président Mitterrand et lui-même pêcheur à la ligne, s’essaya à donner un coup de pied dans la gigantesque fourmilière halieutique, pour récupérer plus rapidement l’argent des taxes piscicoles et mieux le redistribuer…

Mais il fut désavoué par le président Mitterrand qui préféra écouter Jean-Michel Baylet, son ministre du Tourisme et propriétaire de la Dépêche du Midi, qui donna dans son journal la parole à tous les asticotiers radicaux-socialistes du Sud-Ouest, pour qu’on ne touche surtout pas aux structures associatives (loi de 1901) de la Pêche.

Et encore une fois la gestion la plus démocratique en même temps que la meilleure du monde fut sauvée.

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Et pourtant, en 1964 nous étions près de trois millions

2 964 000 très exactement (chiffre du ministère des Finances) à acquitter une taxe piscicole quand la population française de l’époque était loin des soixante et quelques millions d’aujourd’hui.

En 1964 les RTT n’existaient pas, la retraite était à 65 ans et beaucoup n’en profitaient pas longtemps (l’espérance de vie n’était pas la même qu’aujourd’hui) et mourraient avant d’avoir eu le temps d’aller à la pêche.

En 1964 contrairement à ce que l’on pourrait croire, les rivières et les fleuves étaient beaucoup plus pollués qu’aujourd’hui, et la mode en 1964 n’était pas comme de nos jours aux loisirs “écologiques”…

Alors comment se fait-il qu’au cours des cinquante dernières années nous n’ayons pas augmenté l’effectif de 1964, mais perdu les deux tiers des pêcheurs ?

Pour avoir donc, assisté en tant que journaliste, à presque tous les Congrès de l’Union Nationale des Pêcheurs depuis le milieu des années 70, et entendu les litanies des présidents Martini, Solhelac et maintenant Roustan, je vais vous donner en “scoop” les raisons de cette perte de plus de deux millions de pêcheurs.

C’est à cause des sécheresses (1976, 2006) ou des inondations (1981, 88, 95, 2006, 2013), des tempêtes (1999 et 2009) ou de la Coupe du monde de football (1998), ou de rugby, de la concurrence de la planche à voile, du tennis, du golf, du vélo tout-terrain, de la pétanque….

Sans rire, toutes ces raisons (sauf la pétanque) ont tour à tour, été invoquées le plus sérieusement du monde par les dirigeants français de la Pêche associative, pour expliquer la baisse ininterrompue depuis 1964 du nombre de cartes de pêche…

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Hémorragie halieutique hexagonale

Au ministère de l’Environnement quelques experts certainement énarques, expliquent cette hémorragie halieutique hexagonale par une évolution de la composition de la société française avec déclin du secteur primaire au profit du tertiaire. Etrangement, partout ailleurs dans le monde occidental, l’urbanisation et les conséquences sociales qui l’accompagnent ont au contraire entraîné un regain d’intérêt pour les loisirs de plein air en général et pour la pêche en particulier… Ainsi en Grande Bretagne les clubs de pêche regroupent 3,6 millions de pêcheurs réguliers, alors que remarquons le, dans les îles britanniques le réseau hydrographique ne représente pas le quart du nôtre en linéaire de cours d’eau et surfaces de plans d’eau réunis…

En Allemagne, d’après le ministère du tourisme il y a 5,1 millions de pêcheurs pratiquant régulièrement et la pêche récréative génère dans ce pays 270 millions d’euros de retombées économiques.

Aux Etats-Unis d’ Amérique, les derniers chiffres publiés en 2012 par le ministère de l’Intérieur (qui gère la pêche, la chasse et les parcs nationaux) font état de 58 millions de pêcheurs récréatifs (eau douce et mer confondu il est vrai)….qui eux généreraient plus de 100 milliards de dollars de chiffre d’affaire, liée à cette activité….

Pour avoir de tels résultats, ces trois pays seraient-ils beaucoup moins urbanisés que le nôtre? Bénéficieraient-ils de conditions météo idéales pour la pêche, sans inondations, sans sécheresse… La planche à voile, le golf et le tennis n’y seraient-ils pas pratiqués !

Cherchez l’erreur….En fait dans ces trois pays cités en exemple, comme dans des dizaines d’autres de par le monde, la pêche sportive ou récréative est gérée par des gens compétents, qui ont fait, font et continueront de faire ce qu’il faut pour que leurs pêcheurs ne désertent pas les bords des rivières, et surtout prennent des poissons, même si c’est aujourd’hui la plupart du temps, pour les relâcher
ensuite.

Pourtant si l’on en croit nos dirigeants “officiels”, il ne faut surtout pas toucher aux structures et fondements de la pêche française ni invoquer une quelconque incompétence de ses dirigeants. Et pour que les élus et les hommes politiques entendent bien ce discours, l’Union Nationale (devenue la FNPF) leur rappelle à chaque élection que les pêcheurs et leurs familles représentent en France quatre à cinq millions de bulletins de vote potentiel (tu parles!)…

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Exode des pêcheurs français vers l’étranger.

Mais si les Français pêchent de moins en moins nombreux tous les ans dans leurs eaux, ils sont de plus en plus nombreux à s’expatrier pour pratiquer leur loisir à l’étranger….Là encore chercher l’erreur ! Dans tous les pays du monde où la pêche est gérée et rapporte aux économies nationales et locales, il est possible de pêcher la truite jusqu’à généralement la mi-octobre (chez nous fermeture au 3 ème samedi de septembre), il est possible et même recommandé de pêcher l’ombre jusqu’à la fin décembre voire la fin janvier en Bavière (chez nous fermeture en même temps que la truite)…

Dans tous les autres pays, il est possible en février, mars, avril de pêcher la perche, le sandre ou le silure à la cuiller ou autres appâts artificiels, chez nous c’est interdit car on risquerait de prendre un brochet…

Voilà trois petites pistes que nous suggérons à nos dirigeants, ainsi d’ailleurs qu’à l’ONEMA (si cette dernière toutefois a son mot à dire en matière de modification de la réglementation) d’explorer rapidement, si ils veulent enfin, après près de cinquante années de baisse, essayer d’enrayer la chute des effectifs de pêcheurs.

D’autres grandes orientations seraient d’autoriser pour de nombreuses espèces (pas seulement la carpe, mais aussi pourquoi pas la truite, comme aux Etats-Unis…) la pêche de nuit et bien sûr de généraliser les parcours « No kill » (voir notre encadré) et surtout sur ces parcours, de prévoir une surveillance vigilante comme cela se pratique partout dans les autres pays. Mais en fait plutôt que tenter d’aménager et de rapiécer un système qui a fait la preuve de son inefficience depuis trop longtemps, ce serait plutôt par une décision conjointe des ministres de l’Ecologie et du Tourisme, à nos dirigeants politiques de changer les structures associatives de la Pêche récréative et d’en confier la gestion, non plus à des notables (not able, pas capable en anglais) « élus » par moins de 10 peut-être même 5% des pêcheurs, mais à des gens compétents (en hydrobiologie, en halieutique, en économie) comme nous en avons dans de nombreux services de l’Etat.

 

Pierre Affre

 Source : http://www.peches-sportives.com/11339-gestion-de-la-pche-recreative-en-france-un-demi-sicle-d-incompetence-et-de-gabegie-mais-tout-va-trs/

 

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