Du bleu en passant par le vert : avenir noir des cours d’eau ?

En l’espace de quelques années, la couleur de certains cours d’eau sur les photos aériennes est passée du bleu au vert en raison des plantes aquatiques invasives (égérie dense, jussie…). Si ces intruses sont de plus en plus documentées (fiches descriptives, localisation) personne ne se hasarde à diagnostiquer le moindre remède. L’embarras collectif semble cantonner les articles à un exposé botanique.
La FNPF a supprimé son article sur le Grand lagarosiphon.
Sujet tabou ou en cours d’étude ?

Des études scientifiques multifactorielles devraient suggérer des diagnostics.
Nous nous proposons d’identifier des contradictions, d’énumérer certains facteurs qui pourraient être étudiés par les spécialistes de la politique de l’eau s’ils ont envie que l’avenir des cours d’eau ne se dégrade du vert (déjà très impactant) au noir.

Précisons que le CEDEPA n’a aucune prérogative sur le sujet mais un intérêt à s’interroger : une pisciculture sans eau, c’est la faillite technico-économique de l’entreprise.
Nous sommes simplement très attentifs à observer la capacité des gestionnaires des cours d’eau :
◦ à étudier les bouleversements que subissent les rivières : changement climatique sans l’anticiper, impacts anthropiques sans les éluder, espèces végétales et piscicoles invasives sans les disculper au titre de la fatalité,
◦ à modifier leurs paradigmes et leur gestion quantitative et qualitative de l’eau,
◦ à répondre aux enjeux.
Si tout cela nous dépasse, nous avons moult spécialistes pour répondre à ces problématiques d’intérêt général : Agences de l’eau, FNPF et syndicats de rivières.
A ce jour, malgré tous les auto satisfécits décernés en boucle en « Assises », ils semblent démentis par une situation inquiétante dont la presse se fait écho aux quatre coins de France.

 

Questions sans ordre chronologique assorties de quelques commentaires. Où en sont les études environnementales sur :

• les espèces invasives : provoquent-elles une altération des écosystèmes ?

l’abaissement volontaire du niveau d’eau : a-t-il été favorable à la prolifération de plantes invasives ?

• la multiplication végétative très performante crée une biomasse en très forte augmentation dans les cours d’eau aux faciès lentiques.
Y a-t-il :

          ◦ régression de la biodiversité végétale ?

          ◦ impact sur l’O² dissous ? sur le pH ?

          ◦ impact piscicole ?

          ◦ des impacts des gaz intra-sédimentaires émis ?

          ◦ impact sur le colmatage des « frayères potentielles », sur la modification radicale des                         milieux sédimentaires ?

• l’arrachage et le faucardage ont-ils un impact :

          ◦ sur les habitats et les peuplements piscicoles ?

◦ Les gammares et les petites proies naturelles sont-elles extraites en même temps que les herbiers ? (il nous semble impossible qu’il en soit autrement).

◦ le râclage de fond a-t-il un impact écologique ? Un préjudice lié aux espèces aquatiques exportées en même temps que la végétation extraite ?
◦ sur les effets induits : quelle plante va coloniser l’espace libéré en sachant que la nature a horreur du vide ?

◦ cette technique est-elle durable ?

• et à titre très subsidiaire :

◦ les plantes ont-elles eu un effet bio accumulateur ? Quelles sont les teneurs en produits       chimiques ?  Font-elles l’objet d’analyses ?

◦ quelle est la destination de cette biomasse végétale récoltée ? Compostage ?

◦ quelle est la nature chimique du compost offert ou vendu ?


Plantes invasives. Etudier les impacts économiques sur :

les activités de loisirs,

• la navigation motorisée,

• la pêche,

• les sports nautiques.

 

Quelques diagnostics ponctuels qui augurent mal de l’avenir : la gestion cérébralement envahissante des plantes aquatiques invasives

• A l’image des stupidités conceptuelles imaginées pour prétendument éradiquer(1) la renouée du Japon(2), les mêmes idées pour lutter contre les plantes aquatiques nous réservent déjà de mauvaises surprises.

• Très faible occurrence sur le sujet dans la littérature. Des espèces et plantes présentes en France depuis des décennies, peu étudiées, pas de retour d’expérience avec le coût comparé au m² traité et la durabilité du résultat.

• Quand on finit par découvrir sur internet quelques remèdes prodigués par des vendeurs, ils sont du même cru que ceux censés lutter contre la renouée du Japon : inefficaces et dénués du moindre bon sens. Chiffre d’affaires oblige !

L’idée qui n’a pas fonctionné pour la renouée est dupliquée à l’Erigée dense : priver la plante de lumière avec des bâches. Il serait étonnant que l’échec sur terre puisse être plus efficace sous l’eau. L’idée non durable, onéreuse, consiste à poser des filets de fonds occultants, pour éviter la photosynthèse. C’est le degré zéro de la biodiversité… un sommet de la stupidité.

Nous préconisions l’interdiction de tous les produits pétroliers (plastiques, manchons de protection des arbres, bâches) à moins de 150 mètres des cours d’eau. Là, on les pose directement dans le cours d’eau. Comme ces bâches diverses (dite de « paillage » dans les espaces verts) ne sont jamais récupérées sur la terre ferme, celles posées au fond des cours d’eau pourront encore plus efficacement alimenter l’océan de plastique ! Consternant.

Résumons notre pensée : la lutte chimique ou l’intrusion d’engins mécaniques dans le lit du cours d’eau sont à proscrire. Les supposés remèdes seront pires que le mal.

Seule une lutte naturelle a de l’intérêt. Il pourrait y avoir deux leviers : l’eau ou regarder cette végétation comme fourrage-aliment potentiel pour les espèces piscicoles herbivores.

 

Méfions-nous des affirmations sans analyse multifactorielle préalable : le pire est à craindre si la science n’est pas croisée au bon sens.

Exemple : étude Emmanuel Delbart, Grégory Mahy et Arnaud Monty (2012)

 

Lutte chimique

Peu de substances actives ont montré des niveaux d’efficacité totale et ce, malgré un effort de recherche important. Parmi les substances actives ayant donné une efficacité totale, certaines peuvent être écartées par plusieurs restrictions légales (e.g. retrait de l’annexe I de la Directive 91/414/CEE). Les matières actives agréées en Europe qui montrent le plus haut niveau d’efficacité sont le 2,4D et le glyphosate +adjuvant. Pour atteindre un niveau d’efficacité total, plusieurs études soulignent la nécessité de combiner la lutte chimique à d’autres méthodes comme la mise en assec, l’arrachage mécanique, les finitions manuelles ou le drainage (UNIMA, 2001 ; Meisler, 2008 ; Clarke, 2009). Dans ces conditions, il est difficile de quantifier l’efficacité réelle de l’herbicide. Par exemple, une étude sur Ludwigia spp. (Dutartre et al., 1993) a montré qu’après une seule application de 4,32 kgs.a.·ha-1 de glyphosate, la population de Ludwigia sp. revenait quasiment à son stade initial d’invasion après deux années. Pour pallier à ce problème, de nombreuses études ont mis en évidence qu’il était nécessaire de répéter l’application de la substance active plusieurs fois par an et ce, sur plusieurs années (Dawson, 1996 ; Newman et al., 1999 ; Gomes, 2005 ; Hofstra et al., 2006 ; Meisler, 2008 ; Clarke, 2009). In situ, aucun herbicide n’a permis d’atteindre un niveau d’efficacité total sur C. helmsii et H. ranunculoides. En mésocosme, une efficacité totale a été atteinte par application :

– de triclopyr sur C. helmsii ;

– de 2,4-D, d’imazapyr ou encore de triclopyr sur M. aquaticum (Negrisoli et al., 2003 ; Hofstra et al., 2006 ; Wersal et al., 2007 ; Champion et al., 2008).

In situ, seul le 2,4-D a permis d’atteindre ce niveau d’efficacité sur M. aquaticum (Moreira et al., 1999).

De plus, il n’est plus à démontrer que les herbicides ont un impact non négligeable sur la biodiversité indigène (Tsui et al., 2003 ; Kettenring et al., 2011). L’impact sur la flore native sera plus élevé pour les substances actives ayant un large spectre d’action (e.g. glyphosate, imazapyr), contrairement aux substances actives ayant un spectre d’action limité aux dicotylées (e.g. 2,4-D, triclopyr). Les résultats de la présente synthèse bibliographique soulignent que l’utilisation d’adjuvants (supplémentaire à la formulation de l’herbicide) permet d’augmenter les niveaux d’efficacité (Defra, 2007 ; Newman, 2009). Ces adjuvants ont également une écotoxicité propre (Brausch et al., 2007) et sont soumis aux mêmes obligations en termes d’homologation que les substances actives. Toutefois, il ne faut pas écarter que les autres méthodes de lutte portent, elles aussi, préjudice au milieu géré.

Lutte mécanique

Une éradication de C. helmsii et M. aquaticum a été observée suite à des méthodes simples après une année de recul, respectivement viaun seul arrachage mécanique de la couche humique et via un seul arrachage manuel (Leach et al., 2000 ; UNIMA, 2001). Les deux sources mentionnent cependant que ces éradications ne sont vraisemblablement pas généralisables. L’arrachage mécanique, suivi de plusieurs finitions manuelles, a permis d’éradiquer H. ranunculoides et L. grandiflora (Legrand, 2002 ; Newman et al., 2010). Les finitions manuelles ont été effectuées sur deux années pour L. grandiflora. L’application de ce scénario semble relativement simple, mais les réalités de terrain (inaccessibilité des sites pour les engins lourds, difficulté d’observer l’espèce) peuvent fortement en compromettre la faisabilité. Une autre méthode de lutte mécanique a montré un niveau d’efficacité partiel, il s’agit de l’excavation des berges à l’aide d’une déplaqueuse de gazon ou « turf cutter » sur C. helmsii (Clarke, 2009).

Méthodes de lutte dites « Autres »

La présente synthèse souligne que plusieurs méthodes de lutte alternatives « high-tech » ou « atypique » classées dans la catégorie « Autres » (azote liquide, H2O2, lance-flamme, Waipuna) ont été entreprises, mais n’ont donné que des niveaux d’efficacité modérés sur C. helmsii et M. aquaticum (Bayer et al., 1990 ; Dawson et al., 1991 ; Bridge, 2005). Des recherches plus approfondies sont nécessaires pour connaitre le réel potentiel de ces méthodes.

Combinaison de méthodes de lutte

Une étude (UNIMA, 2001) rapporte que la combinaison d’un traitement chimique, d’un arrachage mécanique et d’une finition manuelle est le scénario de gestion donnant un niveau d’efficacité partiel le plus élevé sur Ludwigia spp. Selon la même étude, le même scénario a permis de limiter localement le développement de M. aquaticum.

Aucune source bibliographique n’intègre la combinaison d’un herbicide et d’un agent biologique pour les espèces-cibles. Pourtant, aux États-Unis, des études en mésocosme effectuées sur d’autres espèces aquatiques ont testé cette combinaison. Elles ont démontré que l’agent de lutte biologique combiné à l’herbicide donnait, à même dose d’herbicide, de meilleurs niveaux d’efficacité que l’herbicide seul (Nelson et al., 2005).

Discussion générale

la lutte chimique, potentiellement moins fastidieuse à mettre en place et moins couteuse que les autres méthodes de lutte, n’a montré des niveaux d’efficacité satisfaisants qu’avec certaines matières actives. Dans de nombreux autres cas, les tests de lutte chimique ont montré des résultats relativement peu encourageants. A contrario, malgré leur faible caractère innovant, l’arrachage manuel ou mécanique suivi de finitions manuelles apparait comme une méthode de lutte encourageante. Cette tendance est en accord avec les résultats de Simberloff (2003). Si l’utilisation de certaines substances actives permet d’arriver à des niveaux d’efficacité comparables à ceux obtenus en lutte mécanique, la combinaison de méthodes chimiques et mécaniques de lutte représente certainement une piste de recherche pour l’avenir(…).

 

Peut-on dissocier niveau de l’eau et prolifération des herbiers ?
Y aurait-il un lien entre le ralentissement du courant, la baisse de la lame d’eau, son réchauffement et un milieu qui deviendrait propice aux plantes invasives ?

La régulation hydraulique aurait-elle un effet ?

A ce sujet, les préfets signent des arrêtés « sécheresse » et la même semaine, des arrêtés pour la destruction d’ouvrages de rétention d’eau (moulins et étangs) sans faire le lien de leur propre contribution à l’accentuation de l’état de sécheresse.
Détruire un étang et perdre 200 000m3 ou arroser son jardin potager : quelle est l’action la plus impactante sur le gaspillage d’eau ? Le préfet ou le jardinier ?

Il tombe des milliards de m3 d’eau dite « utile ». Elle se perd pourtant dans l’océan et en juin 2019, les cours d’eau étaient en pénurie.

Les barrages sont stigmatisés et réputés nuisibles à l’environnement. Sans ceux de Naussac (48) et de Villerest (42) il n’y aurait plus d’eau ni dans l’Allier ni dans la Loire. Nous nous souvenons de la Loire réduite à un filet d’eau marron-verdâtre de 2 mètres de large à Tours en 1976.
Il faudrait un minimum d’honnêteté dans les propos : on ne peut pas être opposé aux barrages et vouloir de l’eau dans les cours d’eau.
Nous sommes d’accord avec toutes les affirmations sectorielles considérées séparément. Depuis la LEMA 2006, la politique de l’eau, distillée par quelques hauts fonctionnaires, ne porte que des avis partisans.
Personne n’ose exposer une vue d’ensemble et là, toutes les chapelles deviennent insignifiantes au regard de l’intérêt général.

Les spécialistes de la gestion quantitative de l’eau devront revoir, contraints et forcés qu’ils seront par les contraintes naturelles et l’augmentation des besoins en eau, leurs principes encore scellés dans le marbre. La réduction des consommations  et prélèvements d’eau, pour légitime qu’elle soit, nous semble un axe (par défaut de prospectives) bien dérisoire.


Les gestionnaires des cours d’eau doivent-ils changer leurs paradigmes ?

Si nous ne décelons pas de limites scientifiques (pour peu de les étudier) et encore moins techniques, nous imaginons des freins dogmatiques. Là encore nous ferons le suivi de l’état des lieux : 2015, 2021,2027…2060 des échéances toujours reportées ?

• Il nous semble impérieux d’éviter de ressasser les poncifs sur les cibles initiales prétendument responsables de tous les maux des cours d’eau. C’est peu convaincant. Nous sommes au pied du mur et le logiciel devrait s’adapter au changement climatique, la mondialisation du déplacement des espèces etc…

• Sur un tronçon donné, étudier les dépenses cumulées liées aux plantes invasives et affecter ce budget à des interventions qui pourraient réduire leur présence à un seuil « acceptable ».
• L’argent dépensé pour les arrachages-faucardages réguliers est perdu. Intellectuellement et techniquement, n’y aurait-t-il pas mieux à faire ?

• Sur un tronçon perdu pour les poissons (disparus) et pour les pêcheurs (herbiers très denses), l’essai d’introduction de poissons herbivores gloutons a-t-il été expérimenté ? Ce point nécessite un toilettage intellectuel sur « les espèces piscicoles qui doivent vivre ici par décret ou plan de gestion, et pas les autres ».

• Les peuplements piscicoles modelés depuis la guerre ne doivent-ils pas désormais être adaptés aux nouvelles conditions des milieux, plutôt qu’ancrés à une vision fixiste manichéenne de ce que doit être la rivière ?
Ce nœud gordien sera le principal frein à toute analyse impartiale dépassionnée.

A partir du moment où tous les peuplements originels ont été profondément remaniés, le principe prétendant qu’il faut telle espèce dans un cours d’eau de 1ère catégorie et telle autre en 2ème catégorie est battu en brèche par l’introduction du silure et l’apparition d’espèces piscicoles invasives qui n’ont cure des classements. Les effets anthropiques bafouent ces concepts. Le tronçonnage existe déjà pour distinguer les pratiques de pêches. Il faut peut-être créer une 3ème catégorie de « cours d’eau à plantes aquatiques dominantes » ?

 

En d’autres termes, fixer des objectifs ciblés, réalistes et des priorités de gestion. Par exemple, perdu pour perdu, dans un tronçon de 3ème catégorie limité par deux obstacles infranchissables : changer les gestions hydraulique et piscicole, changer les catégories taxonomiques et étudier les résultats n+5.
Est-ce un scénario hors de portée intellectuelle ? La réponse « ça ne marchera pas » quand on n’a pas envie d’essayer, n’est pas très scientifique. Celle qui se retranche sur « on n’a pas le droit » n’est guère clairvoyante : les profondes modifications anthropiques feront évoluer le droit !

 

Conclusion

Dans l’état actuel des cours d’eau, si nous étions peu lucide face aux constats, nous penserions avoir atteint un paroxysme suivi d’un palier pouvant suggérer une courbe de Gauss ? Rien n’est moins sûr.

Peut-on sauver les cours d’eau ? Peut-être.

Mais il faudra commencer par éviter :

• de prendre les usagers pour des idiots en incriminant de mauvaises cibles ayant un impact marginal,

• d’édicter des mesures qui privent les rivières d’eau (avec la certitude que tout ira mieux demain).
La destruction des seuils, petits barrages et étangs transforment inéluctablement les cours d’eau désaménagés en oueds.

 

(1)  Selon nous « éradiquer » est légitime en médecine pour les virus, pandémies et autres calamités mortelles. Ce verbe nous semble inapproprié en écologie, même si les virus font partie de la nature : il y a un arbitrage à faire en fonction de l’intérêt général. On éradique « qui » en fonction de quels critères ?

(2)  Probablement candidat au « meilleur tronçon de route le plus envahit par la renouée du Japon » : entre la sortie de Tulle et l’entrée de Brive sur l’ancienne RN 89. Un univers minéral encaissé en fond de vallée. Qui gêne-t-elle ? Elle est visuellement plus agréable que les détritus divers entre les rochers, elle est bénéfique aux abeilles.

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