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L’aliment aquacole à la croisée des chemins

    Le recours aux protéines végétales impacte l’empreinte écologique des granulés et peut-être le taux d’oméga 3 des poissons d’élevage.

    L’alimentation aquacole délaisse de plus en plus les granulés traditionnels à base de poissons et de farine de poissons pour se tourner vers les protéines végétales. Or, cette pratique pourrait avoir une incidence sur les bienfaits de certains poissons et fruits de mer pour la santé. C’est du moins ce que semble indiquer une analyse récente réalisée conjointement par le Centre John Hopkins pour un avenir viable de l’École de santé publique Bloomberg de l’Université Johns Hopkins et l’Université McGill.

    Les poissons et fruits de mer consommés en Amérique du Nord sont généralement des produits d’élevage. De tous les secteurs d’élevage d’animaux destinés à l’alimentation, la pisciculture ou aquaculture est celui qui connaît la croissance la plus rapide, devançant les industries du bœuf et de la volaille. Contrairement aux poissons sauvages, les poissons issus de la pisciculture intensive reçoivent des aliments industriels. Jusqu’à tout récemment, ces derniers contenaient une majorité de farine et d’huile de poisson provenant de poissons sauvages. Mais cette pratique est devenue insoutenable : on ne peut pas capturer davantage de poissons sauvages pour nourrir un nombre grandissant de poissons d’élevage, d’où le virage alimentaire précédemment évoqué. Ainsi, l’industrie de la pisciculture a utilisé deux fois plus de farine de soja que de farine de poisson en 2008, et on prévoit qu’en 2020, le recours aux ingrédients végétaux aura progressé de 124% par rapport à 2008.

     

    Impact sur la nutrition humaine

    L’étude a été dirigée par Jillian Fry, directrice du programme de santé publique et d’aquaculture durable au Centre John Hopkins pour un avenir viable et professeure à l’École de santé publique Bloomberg. « Les poissons d’élevage vont chercher l’EPA et le DHA, ces acides gras oméga-3 si bons pour la santé, dans leur alimentation, plus précisément dans l’huile de poisson », explique-t-elle. « Notre analyse a révélé que l’augmentation de la proportion d’ingrédients végétaux pouvait changer la teneur en acides gras des poissons d’élevage et avoir ainsi des conséquences sur la nutrition humaine. »

    L’étude décrit le passage d’une alimentation industrielle à base de poisson sauvage à une alimentation reposant essentiellement sur des produits cultivés, comme le soja, le maïs et le blé. En collaboration avec leurs collègues de l’Institut sur l’environnement de l’Université du Minnesota, les chercheurs ont procédé à une revue de la littérature sur la pisciculture et la santé publique, puis à une nouvelle analyse afin d’évaluer l’empreinte écologique des cinq principales cultures utilisées dans l’alimentation industrielle des poissons d’élevage.

    Certains ont prôné ce virage végétal, le considérant comme souhaitable vu l’appauvrissement des océans et la croissance rapide de l’aquaculture. Toutefois, ce changement n’a pas nécessairement que des avantages.

     

    Variation du contenu en acides gras

    Le remplacement des huiles de poisson par des huiles végétales modifie, lui aussi, la teneur du poisson en acides gras et la valeur nutritive de ce dernier pour l’être humain, ajoutent les chercheurs. Comme on encourage les Américains à consommer des poissons et fruits de mer riches en acides gras oméga-3, qui favorisent la santé cardiovasculaire et le développement du cerveau, ce virage n’est pas sans conséquence, tant pour l’industrie piscicole qu’en ce qui a trait aux recommandations nutritionnelles. On devra approfondir les recherches, précisent les auteurs, pour mieux comprendre les répercussions de cette nouvelle alimentation sur les bienfaits escomptés de la consommation de poissons d’élevage.

     

    Impact sur l’environnement

    Si les aliments à base de poisson font appel à une ressource de plus en plus limitée dans les océans, il en va de même de l’alimentation de substitution à base de protéines végétales, dont la production exige terres, eau et engrais. Il y a fort à parier que les eaux de ruissellement provenant de la culture industrielle des aliments utilisés en pisciculture renferment plus de nutriments et de pesticides. Il faudra en tenir compte dans l’évaluation de l’empreinte écologique de l’aquaculture et de la pisciculture.

    Ces rejets, l’une des principales causes de la pollution aquatique dans le monde, peuvent nuire à la santé publique. Selon le lieu et le mode de production des végétaux utilisés en aquaculture et en pisciculture, le virage végétal pourrait nuire indirectement à la santé des travailleurs agricoles et des populations vivant près des lieux de culture. En effet, ces personnes pourraient être exposées à de l’air, à de l’eau et à des sols contaminés par des pesticides.

    « À l’heure actuelle, seule une faible proportion des terres agricoles servent à nourrir les poissons d’élevage. Mais la pisciculture se développe rapidement. Nous devrons préciser le lieu et le mode de production de ces cultures pour bien mesurer l’impact de la croissance de cette industrie sur l’agriculture et l’environnement », conclut Graham MacDonald, professeur adjoint au Département de géographie de l’Université McGill.

    Par Cynthia Lee, McGill

     

    Source : « Environmental Health Impacts of Feeding Crops to Farmed Fish », par Jillian P. Fry, David C. Love, Graham K. MacDonald, Paul C. West, Peder M. Engstrom, Keeve E. Nachman et Robert S. Lawrence, publié dans Environment International. DOI :10.1016/j.envint.2016.02.022