Nous sommes très critiques sur les DIG (Déclaration d’intérêt général) qui pleuvent partout en France sous couvert de restauration écologique des rivières, pour plusieurs raisons :
- des cibles mal identifiées,
- la méthodologie des interventions,
- des coûts souvent exorbitants,
- l’absence de résultats significatifs en termes d’amélioration de la qualité de l’eau.
La procédure administrative
Nous observons à peu près toujours le même scénario au plan national :
– sur commande d’une collectivité territoriale et après un appel d’offres dans le respect formel des procédures des marchés publics, le donneur d’ordre désigne souvent des attributaires issus d’un même petit cercle. C’est impératif et rassurant de savoir a priori, que le résultat de l’étude ne remettra pas en cause la pertinence de la démarche. Côté BE (bureau d’étude) ce serait un non-sens économique de ne pas surfer sur ces mânes. Ainsi la pompe s’auto-alimente.
Ensuite, la procédure suit son cours :
-une belle lettre d’intentions du Président du Syndicat de rivière ou de la Collectivité territoriale,
-une enquête publique qui restitue dans son rapport les remarques des professionnels et des riverains directement concernés… sans au grand jamais en tenir compte,
-un commissaire enquêteur qui évite (ou ne sait pas) analyser le fond et, pour ne pas lui non plus, hypothéquer ses chances d’obtenir de futures missions… plébiscite in fine le bien fondé de la DIG en faisant un copier/coller de la lettre d’intentions,
-des services administratifs qui, pour ne pas être en reste, édictent des règles rendent parfois les travaux difficilement applicables (les exemples existent),
-et le Préfet signe,
-et l’Agence de l’eau finance.
Etat d’un cours d’eau quelques semaines après le passage d’une équipe chargée de la restauration écologique. Les travaux d’abattage ne concernaient que le sous étage le long de la berge : des brindilles qui ne gênaient personne, pas du tout les vieilles cépées de charmes penchés à 45°…dont on savait pertinemment qu’elles allaient se retrouver dans la rivière au prochain coup de vent
L’étude, l’état des lieux initial, le suivi
Le bureau d’étude retenu produit un très beau dossier. Des dizaines de pages, des cartographies couleur (cartes géologiques comprises), tout y est… sauf l’essentiel : les prescriptions précises sur la gestion du chantier, sur la restauration du cours d’eau et, surtout, l’analyse coût-avantage des solutions proposées par rapport à des alternatives ainsi que l’engagement sur des résultats mesurables…
La phase diagnostique est souvent problématique, le suivi…lacunaire.
Existe-t-il un état des lieux initial au plan chimique, physique et biologique de la qualité de l’eau et des sédiments ?
Des analyses chimiques, physiques et biologiques années n+2, n+5 et n+10 sont-elles prévues pour juger de la pertinence des travaux de restauration ?
Un état des lieux année n+5 est-il prévu pour étudier l’impact environnemental ?
Des phénomènes de long terme comme le réchauffement climatique, le caractère plus fréquents des phénomènes extrêmes et la modification du cycle hydrologique sont-ils intégrés ?
La proportionnalité coûts/travaux n’est-elle pas exorbitante ?
Le bénéfice environnemental est-il probant ?
Les autres usages avérés et potentiels de l’eau ont-ils été analysés par enquête auprès des usagers réels et par modèles ?
La qualité de l’eau s’améliorera-t-elle de manière significative eu égard aux efforts humains et financiers consentis ?
Si la présentation du dossier parait irréprochable, sa consistance insipide ne peut pas être d’un grand recours au technicien de rivière. De gros progrès restent à accomplir dans ce domaine, en particulier dans le domaine de la gestion des abords, des berges et des ripisylves alors que les compétences existent chez les forestiers.
Analyse de la situation
La démographie
>Il y a de moins en moins de paysans dans la campagne : ce sont eux qui assuraient ces travaux d’entretien, d’élagage, d’abattage. Si nous inventons l’agroforesterie au 21ème siècle, ils la pratiquaient depuis longtemps : les frênes étaient émondés régulièrement, les haies correctement taillées, les fossés curés etc…Toute la vallée était entretenue jusqu’au cours d’eau. Il n’y avait donc ni bois mort, ni chablis qui alimentent désormais les embâcles.
>Les gens qui coupent eux-mêmes leur bois pour se chauffer constituent une population vieillissante. Les candidats se raréfient.
Le manque d’intérêt « technique »
>Il convient de reconnaître qu’il existe des difficultés à traiter ces chantiers par rapport à celui qui serait situé sur un terrain plat, sain et facilement accessible.
>qui plus est, ce bois généralement issu de « bois blanc » (saule, tremble, rejets de peupliers) apparaît beaucoup moins attractif qu’un bon lot de chêne-charme. Cet argument de poids éloigne les bûcherons amateurs : ils travaillent moins bien mais sont plus exigeants.
Le foncier
>le foncier souvent très morcelé avec une multitude de propriétaires dilue l’intérêt de ces petites parcelles tombées dans l’oubli familial,
>la portance des sols faible et limitée à quelques mois de l’année représente un réel handicap,
>les des difficultés d’accès. Ce n’est pas simple de trouver des places de dépôt et de stockage accessibles aux bennes et aux grumiers. Les anciennes places de dépôt en bordure des routes ont souvent été urbanisées. Les camions ont même du mal à se faufiler entre les maisons, à faire demi-tour. Le gabarit et le poids des engins ont considérablement augmenté…et l’espace disponible pour eux diminue.
C’est en raison de ces réelles contraintes que les parcelles riveraines des cours d’eau sont moins bien gérées que dans le passé.
Ces actes de gestion tombés dans l’oubli général, n’ont plus fait l’objet d’aucun conseil, d’aucune vulgarisation ni d’encouragements depuis 40 ans. Ils sont pourtant nécessaires…
Et dans ces conditions, comment s’y prennent la plupart du temps les syndicats de rivière pour faire réaliser des travaux dans le cadre d’une DIG ?
Le personnel d’exécution
Les syndicats de rivières ont embauchés des techniciens/techniciennes formés aux concepts environnementaux. Manquant généralement d’expérience dans la conduite de chantiers, se retrouvant en charge de la réalisation de chantiers
difficiles à bien des égards, ne pouvant pas s’appuyer sur le dossier du bureau d’étude, copieux mais inconsistant et ne comportant que des données générales, ils commencent par lancer un appel d’offres en oubliant de consulter les entreprises de travaux forestiers qui interviennent depuis des décennies dans ces milieux bien particuliers.
Ils « invitent » des entreprises spécialisées en environnement et n’affichent pas d’exigences spécifiques concernant le matériel dont l’entreprise devrait être équipée pour traiter le chantier dans de bonnes conditions de sécurité et permettant d’éviter tout dommage aux riverains.
Puis le chantier s’arrête pendant période la plus propice au travail en milieu inondable c’est-à-dire en juillet-août.
La réalisation des travaux
De coups mal assurés de tronçonneuses plus ou moins bien affûtées, les prestataires coupent des brindilles, des arbustes en sous étage, élaguent des petites branches sur des arbres… qu’ils devraient couper au pied.
Les nombreux traits de scie à quelques centimètres les uns des autres témoignent du tâtonnement du bûcheron alors que la cépée complète devait être coupée. Le recépage est important pour conserver la souche vivante.
Ils mettent ensuite en tas les branchages, débitent les brins en morceaux de 30 à 60 cm en prenant soin de les écarter de quelques mètres de la berge en n’imaginant même pas que première crue emportera tous ces rémanents. En effet, en abandonnant les produits sur place, branchages et bois coupés rejoindront les embâcles en aval.
quatre minuscules tas de petit bois…en attente de la crue
Brindilles et bois morts. Le seul intérêt eût été de couper ces deux peupliers qui vont tomber et d’enlever ce petit embâcle d’un coup de godet de pelleteuse mais que faire sans moyens ?
Cet aulne formant l’angle (borne) d’une parcelle méritait d’être taillé
Aux 3/4 déchaussé, s’il n’est pas coupé à court terme, le 4ème frêne va suivre le même chemin. Ne l’abattera pas qui veut…et le ramènera sur la berge qui peut…La DIG va certainement faire semblant de l’ignorer.
état d’un cours d’eau quelques temps après le nettoyage par une Collectivité. Le vent a mis par terre les arbres qui auraient dû être abattus et qui ne l’ont pas été.
Le matériel
Il s’agit pratiquement d’une constante : l’entreprise est équipée d’un petit tracteur type Iseki ou Kubota, avec dans le meilleur des cas, un petit treuil de jardinier-paysagiste sur le tracteur… C’est parfait pour les parcs et jardins, mais cet équipement apparaît très léger pour ramener dans la bonne direction un frêne de 5 tonnes qui penche à 45° au-dessus de la rivière.
Le résultat
Les prescriptions techniques sont lacunaires, les directives mal ciblées et les résultats dérisoires. L’absence de moyens limite les travaux à des interventions insignifiantes, chronophages et sans réel impact bénéfique.
A défaut d’équipement, le personnel arrivé à pied d’œuvre, fut-il de bonne composition, piétine sur place et coupe des brindilles. A ce jeu, même le castor est beaucoup plus efficace.
La réintroduction du castor dans des rivières très polluées relève de la maltraitance animale
Bref… les opérateurs sont très limités faute de savoir-faire et de moyens. C’est gentillet. Ce serait attendrissant s’il ne s’agissait pas de millions d’euros d’argent public jetés dans les cours d’eau…sans suivi.
Les besoins réels et les travaux à mettre en œuvre
Eu égard aux sommes engagées, la moindre des choses serait de mettre en oeuvre une conduite professionnelle du chantier.
1) résoudre les problèmes juridiques et fonciers:
DICT, accès, état de la desserte, place de dépôt, droit de passage, états des lieux initial, autorisation de stockage… Un arrêté préfectoral ne confère pas tous les droits, n’autorise pas à défoncer un chemin rural, ni à créer des ornières dans une prairie privée, ni à stocker du bois dans une parcelle primée à la PAC…
2) des prescriptions techniques claires, par exemple :
– désignation à la peinture des arbres remarquables à conserver,
– désignation (avec une autre couleur) de ceux dont il faut réduire le volume foliaire (pour éviter les chablis et recréer des arbres « têtards ». L’étêtage avec la tête d’abattage évite de faire grimper un éhoupeur et réduit les risques d’accident,
– évacuer les bois et houppiers complets hors de la zone inondable pour qu’il ne reste pas de branchages sur le chantier,
– stocker les bois dans un endroit accessible aux véhicules lourds,
– broyer en plaquettes ou en BRF (bois raméal fragmenté) les perches et branchages…
– aucun engin à moteur ne doit entrer dans le cours d’eau : tous les travaux s’effectuant à partir des berges,
– stockage des huiles et carburants sur une aire saine et éloignée du cours d’eau…
– à notre sens, le cahier des clauses techniques devrait imposer à l’entreprise postulante de pouvoir disposer de deux ouvriers spécialisés en travaux forestiers et dans la conduite d’engins,
-extraire de l’eau à la pelleteuse équipée d’un grappin, les embâcles et les déchets divers…
3) utiliser un matériel adapté à la nature du chantier:
– d’une pelle de 13 tonnes minimum sur chenilles (tuiles 80 cm de large),
– d’un tracteur articulé de ~130cv, 4RM (quatre roues motrices), pneus de 65cm de large, lame frontale, pince hydraulique, treuil de 20 tonnes avec rupture à 22 tonnes , câble de diamètre 16, élingues, manilles, poulies de renvoi.
La répartition de la charge est meilleure que sur un tracteur agricole
– d’une tête d’abattage pour récupérer les bois dans l’eau, couper les arbres en surplomb, étêter les sujets à conserver
-débarder avec un porteur 8RM (huit roues motrices)
Traiter un chantier avec ces moyens appropriés conduirait à d’autres résultats : la facture pourrait être beaucoup moins lourde et les problèmes techniques solutionnés.
Quoi qu’il en soit, travaux légers aux coûts exorbitants ou travaux lourds menés par des entreprises plus spécialisées… il n’est pas prouvé que la qualité de l’eau devienne irréprochable et qu’elle atteigne le « bon état 2015 ».
.
.
.
.
.
.
.
.