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aquaculture: le marché du poisson d’élevage dépasse celui du bœuf

    Les ventes de viande bovine sont supplantées par celles des poissons d’élevage. Un essor qui pose problème.

    Pour la première fois, la production mondiale de poissons issus des élevages surpasse celle de la viande de bœuf. C’est en 2011 que la barre a été franchie, selon une récente enquête de l’organisation environnementale américaine Earth Policy Institute (EPI). Les gens privilégient toujours plus le poisson au bœuf: l’an dernier, 66 millions de tonnes de poisson ont été élevées dans le monde – sans compter les pêches, plus importantes encore  – contre 63 millions pour le bœuf.0

    Les différences s’accentuent: la production aquatique en élevage croît de 6% par an et celle du bœuf baisse. Aux Etats-Unis, la consommation de viande (bœuf, volaille, porc) par personne chute, passant de 83 kg par personne en 2004 à 77kg en 2011.

    >En Suisse aussi

    Les chiffres en Suisse, qui importe l’immense majorité des animaux sous-marins, s’inscrivent dans cette tendance. En 2012, 33,5 millions de tonnes de poissons non vivants – on en importe aussi des versions comestibles vivantes –  sont arrivées sur le sol helvétique, contre 27,3 millions dix ans plus tôt. Chaque résident helvétique mange aussi en moyenne et depuis peu moins de bœuf, de volaille ou de porc.0

    Les Suisses ont consommé 9,1 kg de poisson et fruits de mer par habitant en 2012, contre encore 51,7 kg de viande. C’est deux fois plus qu’il y a vingt ans; aucun autre secteur alimentaire n’a connu un tel envol. Selon Dominique Lucas, patron de la poissonnerie Lucas Genève SA, les Suisses se sont tournés vers les espèces marines sous l’influence des immigrés italiens et espagnols, au milieu du siècle dernier. «Dans les années 1980, l’essor de la nouvelle cuisine a donné un nouvel élan à la consommation de poissons, estime l’importateur. On est aujourd’hui dans le sillage de cette deuxième vague. On veut du frais pour se sentir bien.» Selon Frédéric Dinh Van Chi, associé de la société Ultra Marine Food SA, la pisciculture a deux avantages: «Les prix sont réduits, les livraisons sont régulières.» La quasi-totalité des saumons, bars et dorades provient désormais de fermes d’élevage. La Coop vend toujours plus de poissons (dont près de 60% sont d’élevage), la Migros également (50% d’élevage).0

    Cette tendance s’explique: nourrir le poisson est moins cher. Par contre, il faut sept kilos de céréales pour produire un kilo de bœuf. Pour obtenir la même quantité de volaille, la viande la plus consommée, et de porc, on a respectivement besoin de 3 kg et 3,5 kg de graines. Sans compter le fait que le prix des céréales tend à grimper. Les gens, selon EPI, savent aussi qu’il est malsain de consommer trop de viande.0

    >Farines animales, le retour

    Mais la pisciculture ne comporte pas que des avantages. Saumons et crevettes, deux produits très prisés, sont carnivores. Leur élevage exige d’importantes ressources halieutiques, dont des huiles protéinées émanant d’espèces souvent menacées. La Norvège, le principal pays producteur de saumon, est aussi le plus grand importateur d’huile halieutique. La tendance ne va pas s’inverser, alors que la demande grandissante fait actuellement exploser le prix du saumon (+70% sur un an). Et, selon le WWF, pour chaque kilo de poissons ou crustacés d’élevage mangé en Suisse, quatre kilos de leurs cousins sauvages sont consommés. Dans certaines contrées, les fermes piscicoles s’érigent par ailleurs aux dépens des mangroves, marais des zones littorales tropicales essentiels à l’écosystème. En Suisse, la pisciculture est rare et sert surtout à repeupler lacs et rivières.0

    Enfin, pour raison de rentabilité, les producteurs ont exigé que les farines animales, proscrites depuis le scandale de la vache folle en 2001, soient tolérées pour l’univers aquatique. La Commission européenne, dans une décision controversée, a cédé: les farines dangereuses sont de retour sur le Vieux-Continent depuis le 1er juin dernier. La Suisse, qui importe, est d’autant plus concernée que les étiquetages sont peu fiables. L’ONG Oceana estime qu’un tiers des poissons vendus aux Etats-Unis sont mal étiquetés. En Suisse, le WWF recommande aux acheteurs de privilégier les labels bios et écologiques.0

    Selon EPI, un nouveau cap pourrait être franchi en 2013: on risque bien dès cette année de consommer dans le monde plus de poissons d’élevage que de spécimens issus de la pêche.

    Richard Etienne .  le 01/07/2013