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La DCE: épistémologie intuitive

    Il fallait de grandes œillères fermées en 2000 pour ne pas voir que les objectifs seraient inaccessibles en 2015. Et les ONG écologistes ont foncé dans la voie. De la même manière que de nombreux coupables ont souvent été désignés avant le procès judiciaire, la vox populi s’élève contre les prétendus responsables de la mauvaise qualité de l’eau: les seuils, les barrages, les moulins et les étangs.              Nov. 2006, tout va encore bien ; 30 Déc. 2006: nouvelle Loi sur l’eau ; 1er Janv. 2007, rien ne va plus. Or, nous contestons (certainement pas le fait de chercher à avoir une eau de la meilleure qualité qui soit),  mais la présentation à charge de certains impacts. Il y aurait 30 000 obstacles sans usage. Que veut-on sous-entendre? Cela signifie-t-il qu’ils n’ont plus d’intérêt? S’interroge-t-on sur leurs potentialités et valorisations futures?

    Ce seuil est sans usage. N'a t-il plus d'intérêt?
    Ce seuil est sans usage. N’a t-il plus d’intérêt?

    Le non usage en 2012 pour des ouvrages qui existent depuis des siècles n’altère pas leur carte de visite; ces sites multifonctionnels ne manquent pas d’atouts; ils ne demandent qu’à travailler, mais qui pourrait initier la dynamique de les remettre en activité?

    Comment en est-on arrivé là ? le discours asynchrone des experts est réinvesti 

    Dans le faisceau des idées, il semble que les autorités en charge de l’eau aient intégré le fait que les puissants lobbys étaient bien plus puissants que les bonnes idées. Les directives tombèrent dans le terreau réceptif et les ONG s’empressèrent de verdir le texte en le drapant « d’écologique ».  La suite ? il fallait identifier des responsables. Alors que les lobbys de la chimie n’ont pas encore été égratignés d’un pouce, la dynamique fluviale et l’hydromorphologie ont été pointées du doigt. Les seuils des moulins devenaient des cibles idéales.

    Une rhétorique huilée, martelée au rouleau compresseur, reprise  par la DDT,  l’ONEMA et les AGENCES de l’EAU. Pour les particuliers, on écrase. Pour les élus, on instaure une contribution volontaire obligatoire : il faut en effet les convaincre et obtenir leur consentement à payer. Les Agences de l’eau lancent des grandes consultations publiques (sans résultats) pour justifier les SAGE et entériner des positions légitimes puisqu’elles sont « écologiques ». Refuser une obole pour la nature, qui oserait s’y opposer ?

    Un autre seuil sans usage. Ce chômage est peut-être temporaire?
    Un autre seuil sans usage. Ce chômage est peut-être temporaire?

    La DCE aurait pu être laissée aux mains des ONG environnementales mais leur pouvoir tellement limité n’aurait pas été probant vis-à-vis de Bruxelles sur la réelle volonté d’agir de l’Etat qui devait donc garder la main. Il a promulgué une Loi sur l’Eau le 30 Dec.2006 contraignant le développement économique écologique. Les écologistes auraient pu l’imaginer, ce développement écologique, au lieu de politiser leur discours, au lieu de limiter leurs compétences à sonner le tocsin et à lancer les journalistes sur les mauvaises pistes pour formater les esprits.

    Dans le domaine de l’eau, le développement écologique consisterait à mener des prospectives : par exemple à faire progresser de 20% la production hydroélectrique, dans le respect de la qualité de l’eau. Cela peut aussi concerner l’inventaire de tous les sites pouvant constituer de futures retenues soutien d’étiage, développer la phytoépuration alors interdite pour les particuliers, réduire les problèmes de pollution aigue des stations dites d’épuration. Le développement économique écologique, ce ne sont ni Notre Dame des Landes  ni l’arasement des seuils ex ante, mais des prospectives sur l’eau excédentaire à stocker ou à déplacer pour à restituer en période d’étiage au lieu de la laisser filer vers l’océan,  inventorier tous les points noirs d’érosion anthropique et y apporter des remèdes, instaurer le zéro achat pesticides qui évite de les appliquer…

    On a bien imaginé sous Louis XI le canal du Pont du Fossé. Sommes-nous moins ingénieux aujourd’hui équipés de nos moyens techniques ? Non ! Mais terrorisés à l’idée qu’une pierre déplacée pourrait tuer un gammare, l’imagination est annihilée. A défaut d’objectifs, la matière grise est sous-valorisée à rédiger des plaquettes, brochures, organiser des réunions, colloques, conférences pour animer le débat publique, élaborer moult dossiers de demandes de financements à Bruxelles…pire, rédiger décrets et circulaires qui vont aux antipodes de nos besoins en eau.

    Il faut reconnaitre que pour l’égo et la crédibilité, un bureau d’étude doit prouver sa capacité à initier de gros chantiers alors que le remède consiste au contraire à corréler chaque ouvrage à la taille du ruisseau, de la rivière, à l’insérer dans l’environnement économique et social. Avec la perte du bon sens, de l’observation et de l’analyse qu’avaient nos anciens, on dédaigne les petites réalisations du développement écologique et rural qui sont, la plupart du temps, tournées en dérision. On nous oppose doctement « ce n’est pas la bonne réponse au problème ». Pourtant, en termes d’environnement et d’impact social, tous les efforts s’additionnent pour escompter un résultat global significatif.

    Amnésie et complexes ?

    Le Tigre, l’Euphrate et le Nil…bien avant Alexandre le Grand, l’homme a eu besoin de maîtriser l’eau. Rendons hommage aux travaux hydrauliques des Romains, au génie des Moines depuis le Moyen Age, aux grands travaux  d’assainissement (Sologne, Landes) et d’irrigation…l’essor de la France grâce à l’hydroélectricité qui occupait encore une place importante avant le nucléaire. Nos illustres prédécesseurs auraient-ils placé la barre beaucoup trop haut pour que nous renoncions à imaginer les solutions indispensables au 21ème siècle ?

    La DCE :

    Un gros travail, qui aurait pu être ressenti comme une corvée, a été accompli avec célérité : tous les étangs, mares, ruisseaux ont été inventoriés. Le zèle remontait aux rigoles et fossés, jusqu’au sommet du bassin versant.  Effets collatéraux de l’obligation de  « mises aux norme »s : les prescripteurs envoient sans discernement les bulldozers  dans les zones humides pour assurer la continuité écologique, et dans certains cas, le Conseil Général subventionne.

    détournement d'un ruisseau au travers la queue d'un étang pour créer un cours sur l'autre berge
    détournement d’un ruisseau au travers la queue d’un étang pour  le déplacer sur l’autre berge: il ne doit plus traverser l’étang.
    l'engin à chenilles passe défricher une zone humide et enterre profondément les rémanents
    l’engin à chenilles passe défricher une zone humide et enterre profondément les rémanents

    Concernant l’arasement des seuils, on sale la note des frais et honoraires qui peuvent représenter 50% du montant des travaux !

    Effarante la doctrine « post 2005 »: le raz de marée unanime d’un discours qui outrepasse quelquefois le texte. Dans quel dessein ? Sur quel(s) fondement(s) technique(s) ?

    Oui, toute intervention est invalidante pour l’environnement : ça commence par l’invention de la hache, de la pioche puis de la charrue.  Doit-on pour autant, en se retranchant derrière deux mots galvaudés à toutes les sauces « grenelle et durable », mettre la nature sous cloche en France et considérer tous travaux d’aménagements « suspect »s ?

    L’ amnésie collective s’émerveille spontanément devant le fantastique canal du midi. Culminant à 190m d’altitude, il n’aurait jamais vu une seule goutte d’eau sans un astucieux réseau d’alimentation imaginé par Pierre-Paul Riquet. (L’impétrant mérite à titre posthume des centaines de PV de l’ONEMA : aucune étude d’impact, destruction de vie aquatique…). Son œuvre est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. On rebouche tout ?  Le canal de Briare et les Sept Ecluses : restauration physique écologique à l’identique ? Le Pont du Gard qui n’a plus d’usage: on rase ?

    Les incohérences :

    –      Les grands ouvrages hydrauliques, invalidants pour l’environnement depuis le 15ème siècle suscitent émerveillement et ont un grand intérêt au 21ème siècle au point d’être considérés patrimoine local voire patrimoine mondial, (abbaye, moulin, aqueduc) mais on clame haut et fort qu’il ne faut plus rien construire,

    –      les étangs anciens à 99% artificiels, cuvettes d’argile à leur création, font l’objet de tous les classements ZNIEFF, ZICO, NATURA 2000, RESERVES NATURELLES, en raison d’un biotope et d’écosystèmes très riches, mais on clame haut et fort qu’il n’est plus question d’en créer,

          cette stupéfiante incohérence intellectuelle de constater que le déficit en eau et la pollution sont des facteurs extrêmement pénalisants et de continuer à porter la bannière de la restauration physique en étant convaincu qu’il s’agit du seul remède.  Globalement, on constate l’incohérence entre la politique économique et la politique de l’eau. Il sera nécessaire d’évaluer les résultats obtenus au regard d’indicateurs qualitatifs et financiers.

     Ces  incohérences nous paraissent centrales. Les suivantes s’inscrivent dans ces trois thématiques.  Elles devraient rester en mémoire et inciter à plus d’humilité dans les certitudes despotiques sur le bien ou le mal prodigué à l’environnement.

    –      OGM ou qualité de l’eau ? Tentons de vérifier la rumeur qui prédit une augmentation de mille% l’utilisation de roundup en cas de généralisation des OGM dans les cultures,

    –      retenues et étangs subventionnés jusqu’en 2006, interdits depuis 2007,

    –     le Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement souhaite le 6 Octobre 2011 le développement de l’hydroélectricité lors du 27ème congrès de l’Association Nationale des Elus de Montagne,

    –      interdiction de créer seuils et étangs et des Préfets qui prennent de nombreux arrêtés de restriction d’usage de l’eau en période de sécheresse (cela n’a pas empêché 600km d’assecs en 2012 en Charente-Maritime),

    –      des élus que l’on veut convaincre de payer des travaux d’arasement et qui manifestent à Montluçon (Oct. 2012), arborant leurs écharpes tricolores, en mocassins dans le lit vide du Cher ; beaucoup plus en aval, la colère monte (Nov.2012) dans les 20 communes entre Montrichard et Tours : les barrages ont cédé et sont à reconstruire (budget 1million€/an),

    –      des AAPPMA vocifèrent contre seuils, moulins et étangs puis déplorent le manque d’eau, (130 000€ en trois ans pour des civelles et 160 000€ pour restaurer des frayères à brochets, sans eau en 2012 en Poitou-Charentes),

          les pêcheurs fustigent les étangs mais y a-t-il une seule Fédération de pêcheurs qui ne louerait pas ou ne serait pas propriétaire d’étang(s) ?,

    –      prétendre développer la pisciculture en octroyant des subventions du FEP (Fonds Européen pour la Pêche) et araser les seuils au lieu d’en créer,

    –      un engouement social très fort qui pousse toutes les Collectivités à créér et à acquérir lacs et étangs, une passion ancrée pour les moulins probablement en reconnaissance intuitive à leur contribution alimentaire et industrielle du passé et ce déni « écologique » récent,

    –      la cerise sur le gâteau : on invoque des travaux et des frais onéreux pour des populations piscicoles (saumon et anguille)… en voie d’extinction à cause de la surpêche et de la pollution.

    L’hypocrisie : 

     –  Une idéologie qui laisse mettre en place des règles contraignantes pour les étangs et moulins sans s’attaquer aux lobbys, sans internaliser et recouvrer les coûts induits par les usages très polluants,

     –  la DCE laisse le choix des moyens, principe de subsidiarité, aux Etats membres qui ont une obligation de résultat ; en clair, ils choisissent de ne pas affecter les marchés. Cela équivaut à un droit subventionné pour l’industrie et la chimie qui peuvent continuer de polluer,

    – la débauche d’énergie et les frais considérables engagés pour des échéances qui seront reportées ad vitam aeternam avec des indicateurs édulcorés…ce n’est pas sérieux,

    ce ne sont ni les seuils ni les barrages qui créent les atterrissements, mais on n’hésite pas à dénoncer ces ouvrages et à faire supporter les frais de curage à son propriétaire et à lui seul alors qu’il n’est en aucun cas l’acteur des mauvaises pratiques en amont. C’est une dérive intellectuelle. C’est aussi une dérive technique qui n’a rien à voir avec la dynamique fluviale classique. Certains modus operandi  provoquent l’érosion de dizaines voire centaines de m3/ha entrainant la dystrophisation. Chaque coupe rase forestière, chaque sol agricole dénudé en hiver, chaque chantier de TP, chaque carrière, devrait avoir son bac de décantation, sans dispositif de vidange et correctement dimensionné.  Si la collectivité assume les déchets en ville, elle devrait supporter les frais de curage des sédiments illégitimes comme elle le fait pour les collectivités au titre des CRE (Contrat de Restauration et d’Entretien). Enfin,il conviendrait dans les méthodes expertales de calculer et d’attribuer une valeur à cette fonction d’utilité publique et de service écologique des étangs, biefs, seuils et barrages.  L’eau est translucide. La turbidité n’est pas la norme. Si les seuils ne captent pas les sédiments, on s’en remet à l’océan comme pour la pollution et les déchets flottants (mer de plastique). Le « tout à la rivière », c’est la palme de l’hypocrisie environnementale. Observer la couleur de l’eau, remonter jusqu’à l’origine de cette charge en MES (matières en suspension) et admettons enfin que seuils et barrages sont plus victimes que responsables.

    La facture :.
    Le concept « électeur-dépollueur » se renforce. Comme ce vilain n’aura pas atteint les objectifs assignés, il paiera à chaque échelon du mille-feuille : une très grosse fois pour l’eau qu’il consomme, une fois pour les CRE  puis la part des travaux onéreux restant à la charge de la ComCom, une troisième fois pour les travaux de mise aux normes subventionnés par le CG et une petite dernière pour les amendes-astreintes de l’UE…

    L’eau, objet de pressions diverses et contradictoires, de conflits d’usages constitue un enjeu important qui devient vital.  Nous estimons que la bataille actuelle tente (1) d’atteindre une mauvaise cible. Toute activité humaine a un impact environnemental mais l’énergie déployée depuis 10ans pour pointer l’aspect physique est largement disproportionnée par rapport aux enjeux. Les résultats ne seront pas significatifs. La véritable restauration écologique doit traiter le volet chimique. La lecture de la pertinence des textes devrait se faire à l’aune du temps au lieu de répondre dans l’immédiateté à ce qui n’est même pas un besoin et que personne n’a réclamé. 

    Nos pratiques hydrovores risquent de rendre certaines postures rapidement obsolètes et dérisoires.

     

    (1) « tente » parce que ce serait sous-estimer l’immense force d’inertie, les oppositions et les contentieux. La FFAM (Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins) vient d’obtenir devant le Conseil d’Etat l’annulation partielle de la circulaire du 25 janv.2010 sur le rétablissement de la continuité écologique.    www.moulinsdefrance.org

     

     

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