PDF ici: Les poissons, les sédiments et l’eau dans la continuité écologique
La grande découverte sémantique est d’avoir imaginé et associé au concept de « continuité », le mot « écologique ». Comment peut-on imaginer un instant travailler en faveur de l’écologie en prétendant araser 60 000 seuils et barrages? L’eau deviendrait-elle subitement de meilleure qualité ? Elle s’est considérablement dégradée après 1950 alors que les ouvrages existaient depuis des siècles.
Nous allons évoquer la biodiversité et analyser d’un peu plus près ce qui se cache derrière la « continuité écologique ». Ce qu’elle prétend et ce qu’elle oublie de considérer.
1) Les poissons
Empoissonnements massifs
Pendant les « 30 glorieuses « , les congés payés et le début des loisirs, la pêche a connu un essor considérable. Les sociétés de pêcheurs, faisant fi de la biologie des espèces, de la biodiversité, ont introduit dans les cours d’eau des milliers de tonnes de poissons pour satisfaire la passion de leurs clients. Cette gestion aveugle a sonné le glas des espèces sauvages. Elle fut également désinvolte dans l’introduction d’espèces réputées plus attractives pour la pêche que celles du peuplement naturel, Elle fut enfin irresponsable en ayant introduit des espèces exotiques. Mépris total des autres espèces, ignorance du cours d’eau uniquement considéré comme un réceptacle, comme un grand réservoir, ignorant un milieu naturel dont l’écosystème fonctionnait de manière équilibrée depuis des siècles.
Comme les chasseurs, les pêcheurs ont décrété des espèces indésirables, nuisibles à leurs yeux, envahissantes et imaginé les cours d’eau comme ils devaient être. Point.
Les poissons dans les piscicultures, gavés aux granulés pour atteindre la taille portion à la date de livraison, sélectionnés par les fédérations en fonction de leur prix, ont été introduits dans les cours d’eau avec une charge dépassant toujours la capacité d’accueil du milieu naturel. Il fallait un apport quantitatif qui puisse satisfaire le pêcheur du dimanche. Malgré tout, on entend encore évoquer des « souches » de telle ou telle espèce. Un terme employé quasi religieusement pour se convaincre. A part de très rares exceptions dues à l’inaccessibilité du cours d’eau et à la présence d’un obstacle infranchissable en aval (cascade), les souches originelles de poissons sont disparues depuis des lustres. Même en amont d’un seuil ou d’une digue d’étang en tête de bassin versant, les alevinages ont tellement perturbés les peuplements piscicoles qu’ils n’ont, dans bien des cas, plus rien à voir avec le peuplement d’origine. Quand les dernières introductions sont anciennes, les espèces amont peuvent afficher un génotype et phénotype différents par rapport à celles en aval d’un seuil. Les exemples existent, mais les vraies « souches » continueront surtout à nourrir l’imaginaire du pêcheur.
Cette gestion piscicole aveugle, désinvolte, égoïste et anti-écologique ne peut en aucun cas autoriser les pêcheurs dogmatiques à nous expliquer ce que devrait être la continuité écologique. Les pêcheurs de terrain tiennent souvent, avec bon sens, des propos très différents.
En résumé, que la gestion des peuplements piscicoles incombe aux fédérations de Pêcheurs selon la loi, nous en avons pris acte. Qu’elle soit conduite pour satisfaire leurs clients, pourquoi pas ? Pêche > empoissonnements > pêche… Mais dans ce mode de gestion piscicole, que l’on n’inflige aucune charge aux publics hors circuit et surtout, que l’on n’invoque pas les prétendus besoins des écosystèmes martyrisés depuis des décennies. Le cycle fonctionne comme la chasse dans un parc de chasse : la forêt déconsidérée n’est qu’un support à l’activité. Le biotope se reconstituera lentement quelques années après la fermeture du parc.
Soit les centaines de millions d’euros dépensés depuis 10 ans produisent les effets piscicoles et environnementaux escomptés et on doit arrêter les empoissonnements, soit l’eau n’est que le support à l’activité de pêche -encore une fois, cela ne dérange strictement personne- et on doit « arrêter d’emmerder les Français » comme disait Pompidou, avec la continuité écologique.
Sans du tout remettre en cause la chasse et la pêche, faire l’amalgame entre la pêche intensive (qui prélève plus que le milieu ne puisse produire) et l’écologie nous semble aussi cocasse qu’illégitime.
Sur ce premier point, le concept de la libre circulation des espèces artificielles pour satisfaire la continuité piscicole apparaît oiseux.
Les espèces amphihalines
Les espèces amphihalines devenues des « enjeux majeurs » … des centaines d’enjeux majeurs depuis 1960. Aussitôt énoncés, aussitôt oubliés. Comment ces espèces ont-elles été érigées au sommet de la pyramide ? Quand on voit ce que nous infligeons aux baleines, aux éléphants décimés pour l’ivoire, à l’ours polaire et chez nous aux abeilles… en quoi le poisson mériterait-il tant d’investissements ? En quoi le saumon serait-il « indispensable » alors qu’il s’élève facilement au contraire des espèces en voie d’extinction ? Qu’il fasse l’objet d’attentions, c’est bien la moindre des choses. Mais ils continuent à faire l’objet de pillage, de braconnage, victimes de la surpêche, du silure et …décimé par les pollutions.
Les stocks mondiaux sont menacés. Ceux qui s’échappent des élevages OGM des cages en mer risquent de sceller prochainement le sort des derniers saumons naturels.
Le paradoxe réside dans le fait que l’on veuille consacrer des centaines de millions d’euros pour des espèces qui hélas pourraient disparaître à court terme. Ce n’est certes pas une raison pour baisser les bras, mais avant d’engager ces dépenses colossales, agissons en priorité sur les causes réelles du déclin de ces espèces : la pollution et la surpêche, au lieu de faire croire que la « continuité écologique » ressuscitera les populations en péril.
Sauvons les poissons migrateurs…pour les pêcher
Nous pourrions comprendre et accepter cet objectif de sauvetage des migrateurs s’il était accompagné d’une interdiction stricte de pêche. Ce n’est pas le cas. Les sommes considérables consenties au titre de la « circulation des espèces piscicoles » représentent une charge financière exorbitante au profit d’un petit groupe.
> financièrement, c’est très inéquitable,
> sur le plan éthique, tant d’efforts pour pouvoir continuer à ponctionner les stocks constitue une grande incohérence,
> asseoir en grande partie les préceptes de continuité piscicole et de continuité écologique sur les espèces amphihalines nous apparaît totalement dérisoire eu égard à la gestion des stocks mondiaux.
2) Le transit sédimentaire
Ce ne sont ni les seuils ni les barrages qui créent la charge solide. Les meuniers ont toujours géré ce transit sédimentaire. A défaut, leur ouvrage n’aurait plus fonctionné. Pendant des siècles, il y eut un équilibre qui constitue la dynamique fluviale entre le transport solide alimenté par l’érosion naturelle et le transport liquide. C’est à bon droit que la loi reprend cette obligation de transit sédimentaire à la charge du moulin. Cependant, depuis 1960, les conditions ont radicalement changé : les volumes sont incomparablement plus importants. Ils provoquent des atterrissements que le courant plus faible dans le bief a du mal à charrier. Certains modes opératoires provoquent l’érosion de dizaines voire centaines de m3/ha/an entraînant la dystrophisation. Chaque coupe rase forestière, chaque sol agricole dénudé en hiver en attente du semis de maïs, chaque chantier de travaux publics, chaque carrière, devrait avoir son bac de décantation, correctement dimensionné et sans dispositif de vidange.
En quoi le propriétaire du seuil devrait supporter les frais de curage de ces milliers de m3 de sédiments illégitimes ? La Collectivité ne pourrait-elle les prendre en charge au titre des CRE (Contrat de Restauration et d’Entretien) ou d’une DIG, au lieu de les laisser hypocritement dévaler pour alimenter les bouchons vaseux après l’arasement du seuil?
L’eau est translucide.La turbidité n’est pas la norme. Si les seuils ne captent pas les sédiments, on s’en remet à l’océan comme pour la pollution et les déchets flottants qui forment la mer de plastique. Le « tout à la rivière », c’est la palme de l’hypocrisie environnementale. Observer la couleur de l’eau, remonter jusqu’à l’origine de cette charge en M.E.S (matières en suspension) et admettons enfin que seuils et barrages sont plus victimes que responsables.
3) L’eau
Ce point essentiel de la qualité de l’eau est quasiment passé sous silence par la prétendue restauration de la continuité écologique. Elle s’acharne sur l’hydromorphologie alors que l’écologie pourrait aussi, accessoirement, étudier les critères chimiques. Un cours d’eau en parfait état physique mais très pollué, ce n’est pas génial pour le poisson, mais c’est encore moins drôle quand l’eau arrive au robinet. L’hydromorphologie devrait être à sa juste place dans l’échelle des valeurs. Le critère vital est la qualité chimique de l’eau, ensuite sa quantité. Une belle morphologie sans hydro…c’est un oued.
épilogue
Le discours qui consiste à affirmer qu’il faudrait araser tous les obstacles au franchissement est dogmatique, sans fondement scientifique et dénué de bon sens. Il occulte les problématiques croisées de modification du niveau de la nappe phréatique, des puits, des réserves d’eau soutien d’étiage, de l’assèchement des zones humides. Il occulte la nature chimique des millions de m3 de sédiments, leur impact sur les ouvrages d’art édifiés en aval des seuils, la ruine de la filière conchylicole…
conclusion
Insistons donc sur les facteurs chimiques, sur la qualité et la gestion quantitative de l’eau. Pour être crédible, la « continuité écologique » devrait évoquer en priorité les facteurs dégradants et s’interroger sur l’origine de ce que l’on peut baptiser la « surcharge » solide.