Déplorant la pensée unique sur la renouée alors que nous lui trouvions spontanément de nombreux attraits, bien avant même de savoir qu’il s’agissait de « renouée », nous avons découvert cet extrait d’article qui recueille notre totale sympathie: « Philippe von Siebold, médecin hollandais dans les années 1840, peut être considéré comme le tout premier responsable de son introduction en Europe. Au milieu du XIXe siècle, Siebold est l’un des rares Européens à vivre au Japon. Ce médecin est aussi amoureux des plantes. Il ramène aux Pays-Bas certaines plantes particulièrement belles. Il fonde une compagnie horticole spécialisée dans l’importation et la vente de plantes orientales. En 1848, son catalogue propose des spécimens de la variété géante de fallopia japonica. Aux XIXe et XXe siècles, la renouée est ainsi plantée dans toute l’Europe. On lui trouve de multiples vertus: l’élégance de son port, sa floraison en fin d’été, sa richesse en nectar, ses capacités de survie dans les dunes de sable ou aux abords contaminés des anciennes mines, ses qualités médicinales et fourragères ».
Ensuite?….Elle s’est juste échappée des parcs et jardins dans lesquels elle fut introduite. Cela ne remet pas en cause ses autres qualités.
En préambule, il est essentiel de préciser qu’en aucun cas nous ne préconisons la prolifération des plantes invasives. Nous sommes d’accord sur le fond. Mais pas du tout sur la rhétorique. Le discours général nous apparaît très excessif, aussi bien sur les plans technique, philosophique qu’environnemental.
Nous proposons simplement de la regarder autrement…de manière apaisée, c’est à dire ni dogmatique ni sectaire. Une gageure?
Notre fiche sur la renouée du Japon
Satisfait de ne plus être seul à avoir toujours spontanément trouvée belle, cette plante très méritante, performante.
Regrettant juste qu’elle n’assure pas son bon office d’écran visuel quand l’œil doit s’accommoder de la piètre image hivernale des sites qu’elle a consenti à coloniser au bord des routes jonchées de déchets et de plastiques.
Excellente croissance, feuillage atypique, fleurs blanches élégantes appréciées des insectes, comestible, fourrage apprécié, production de biomasse intéressante, et au plan visuel: densité très importante de tiges permettant de capter des bidons, papiers gras, plastiques.
Pour couronner ce plaidoyer, elle n’est pas du tout exigeante sur les qualités pédologiques du substrat.
L’injuste désamour
Depuis peu, un acharnement quasi unanime déferle sur elle. Peut-être parce qu’elle pointe nos errements ? Elle envahit et accapare des friches péri-urbaines remaniées, des bordures de routes. De fait, elle devient visible : elle colonise toutes les zones abandonnées et mal gérées par l’homme… un peu comme un pied de nez. C’est très impertinent et cela mérite l’artillerie sémantique lourde: « éradiquer, plante tueuse« …en n’hésitant pas, au mépris du ridicule, de pousser le curseur à fond: « guerre, invasion, peste, calamité, contamination »…les pires mots gravés dans la mémoire collective lui sont destinés. De quoi frissonner mais cette surenchère rend grotesque cet acharnement métaphysique: « le cancer de la rivière ».
Comment les auteurs de tels propos pourront-ils qualifier le PCB et les produits chimiques dans les rivières, s’ils comparent une jolie plante au cancer? Talleyrand nous l’a pourtant enseigné: « tout ce qui est excessif est insignifiant« .
« Injuste », parce que rien de tel n’a été écrit sur la fougère. Pourtant très envahissante et exclusive, biodiversité nulle, taux d’insectes proche de zéro, très peu comestible (uniquement par un âne famélique), voire toxique
La fougère stérilise des dizaines de milliers d’hectares, interdit toute régénération naturelle des peuplements feuillus et résineux, un vrai fléau susceptible d’anéantir les plantations, pullule de tiques vecteurs de la maladie de Lyme… Comparativement, la renouée est un enfant de chœur : vous pouvez même la manger, la toucher, c’est agréable. Elle est plus douce que la ronce ou que l’églantier, elle ne mord pas… alors qu’il est fortement déconseillé de tenter d’arracher une fougère à mains nues: la tige se venge en lacérant les mains.
« Injuste » encore, car nous imaginions que tout végétal à très fort enracinement était l’allié de l’homme en matière de lutte contre l’érosion tel le robinier pour les talus de voies SNCF.
La renouée « favoriserait l’érosion des berges ». Un sol limono-sableux, nu, en proie au courant, serait-il plus stable? Evidemment, mieux vaut l’aulne glutineux, champion du monde du maintien des berges; laissons ce point plus subjectif que technique en suspens car les berges de rivières ne concernent qu’un infime pourcentage des terrains à stabiliser par les végétaux. Par contre, il est exact que ses rhizomes ultra performants ne laissent place à aucune autre plante et que sa partie aérienne extrêmement dense, forme un couvert opaque.
En tout cas, personne ne crie au scandale de la mise en œuvre, par milliers de tonnes, de films et bâches posés au sol pour éviter l’érosion dans tous les travaux de génie civil: routes, autoroutes, parkings, parcs …loin, très très loin du concept environnemental alors que lonicera rampant, graminées, bambou nain, genêt, lierre, millepertuis…ou renouée du Japon pourraient assurer cette fonction de végétalisation écologique. Les bâches ne sont-elles pas inesthétiques, invasives, intrusives, invalidantes pour l’environnement en alimentant la mer de plastique?
Ce qui est préconisé pour la combattre: des conseils « indurables » !
1) le traitement chimique:
Une exorbitante fiche technique de plus de vingt pages rédigée par une ONG nous interpelle, c’est un euphémisme : « cette lutte relève de la nécessité stratégique malgré la mise en œuvre de méthodes souvent peu élégantes aux effets secondaires parfois indésirables. La question de l’éthique reste posée, l’homme doit-il toujours essayer de réparer les dommages causés par ses activités au risque de parfois faire pire ; et peut-on accepter moralement nos impacts sans rien tenter ».
Le « parfois indésirables » nous semble bien édulcoré et très complaisant. S’il signifie « glyphosate », si c’est « moral, il faut tenter« … tant pis pour la rivière !
La fiche technique préconise le traitement chimique et évoque même deux passages : le premier en début de saison » pour voir ». Quelle désinvolture, alors que l’on sait qu’il est inefficace à cette période! En ne perdant pas de vue que le rédacteur de l’ordonnance de « traitement chimique raisonné » n’est jamais là pour contrôler l’opérateur qui surdose par ignorance, en escomptant un meilleur résultat, surtout si l’application s’effectue à la mauvaise saison et qu’il craint de se voir reprocher un mauvais travail. Le glyphosate se retrouve dans la nature. Et on en remet une grosse dose en fin de saison pour cette fois, le vrai traitement.
2) le traitement physique:
Une autre solution dite « physique », digne d’un gag, que nous n’aurions jamais imaginée, et encore moins conseillée :« excavation et enfouissement profond en décharge. Cette opération revient à mettre en décharge de la terre végétale et implique des moyens mécaniques importants ». Le délire… cela n’a même pas été fait ni à Tchernobyl et encore moins à Bhopal.
Nos commentaires :
- au plan technique si l’excavation concerne des gravats, ils peuvent être recyclés (en couche de fondation par exemple) mais s’il s’agit de terre arable, c’est aussi stupide que dommageable :n’avons-nous rien d’autre à mettre en décharge que de la terre végétale ? on croit rêver,
- sur le plan conceptuel, ce diagnostic correspond aux qualificatifs employés : «terrains contaminés par la renouée, la peste de la renouée… » tout cela mérite en effet un enfouissement profond de type radioactif,
- le bilan CO2 de cette opération n’est pas chiffré : pour délocaliser cette plante, combien émet-on de GES en consommation de gasoil ?
- enfin économiquement, l’auteur oublie de calculer le prix de revient : excavation (forcément à la pelleteuse) + chargement + transport vers la décharge + nivellement soit …m3 x…. €/m3=….. € ? Si on a cure de la nature, faisons au moins attention aux finances publiques et appliquons la méthode ACA : Analyse-Coût-Avantage qui mettra en évidence un prix de revient dispendieux.
Et la fiche d’insister sur « la bonne méthode dans le bon contexte ».
Ecouter et répéter ce genre de diagnostic finit par inciter le passage à l’acte: voir cet exemple consternant. http://cedepa.fr/la-renouee-du-japon-une-plante-tueuse-hors-de-prix/
3) la lutte dite douce :
– la fiche préconise le brûlage de ces résidus sur place ou de les envoyer en incinérateur !! Désinvolture…au mépris des GES (gaz à effet de serre)
– d’autres préconisent la pose d’un film géotextile… des produits pétroliers onéreux à la place d’une plante. N’est-ce pas anti-écologique, un « remède » plus nocif que le mal? C’est stupide!
Un témoignage de lutte douce dans une ville en France nous a été rapporté : « d’un parking public
surplombant une rivière, nous pouvions observer un massif de renouée sur l’autre rive abrupte formée par du remblai minéral hétéroclite. La surprise: un jour, des ouvriers viennent couper la renouée sans ménager leur peine. Le volume des tiges devint vite un problème et le lendemain, elles formaient trois gros tas en pied de talus. Le débit d’étiage permettait de tout stocker en bas, c’est à dire dans le lit de la rivière. Devinez la suite…la première pluie a logiquement gonflé la rivière qui a évacué les trois tas en aval. Les usagers du parking ont profité d’une vue sur le talus décoré de déchets (jantes, cadre de mobylette, bidons multicolores…) pendant les quelques mois d’automne et d’hiver. Au printemps, la renouée a repris vigoureusement sa place ». Ce n’est pas le site précis qu’il convient de dénoncer, c’est le diagnostic et la nature de l’intervention qui n’avaient pas d’intérêt.
Quelle est la valeur de la renouée?
En l’absence de marché qui permet de déterminer un cours (1) une méthode expertale consiste à estimer:
- les frais engagés pour réduire son emprise. Il serait intéressant d’estimer ces frais, mais la seule rédaction des fiches techniques confère déjà à cette plante une certaine valeur…que dire des frais dispendieux engagés pour tenter de l’éradiquer… 5, 10, 15 €/tige ?
- son impact paysager (surtout dans des sites ingrats souvent minéraux et très inhospitaliers),
- son attrait culinaire et fourrager, http://bellessauvagesetplus.blogspot.fr/2009/05/renouee-du-japon.html
- les bienfaits sociétaux, médicinaux,
- son intérêt pour les insectes, (un nuage d’insectes sur cette photo)
- la valorisation potentielle de sa biomasse,
- son pouvoir colonisateur et de maintien du sol grâce à ses rhizomes…
Où la trouve-t-on ?
Nous n’avons encore jamais vu de renouée du Japon dans une forêt ni dans une prairie entretenues. Si cela existe, cela reste marginal et en tout cas, elle n’est pas venue toute seule. « La plante est souvent présente dans des milieux peu attirants : bords de rivières difficiles d’accès, décharges sauvages, anciens remblais, en bord de route, vieil enrochement déstructuré par le temps et situé en contrebas d’un escarpement ou au milieu de gorges encaissées ? Les secteurs « contaminés » sont quelquefois inaccessibles ». Si elle colonise des endroits inaccessibles, fichons-lui la paix puisque aucune autre plante n’a daigné s’y installer avant!Reconnaissons qu’elle est vorace… mais c’est aussi son charme. A ceux qui déplorent l’absence de biodiversité: ils n’ont pas tort…mais ils oublient d’évoquer celle du maïs, du colza, des plantations d’épicéa, de pin laricio ou de peuplier.
Notre suggestion pour la combattre: http://cedepa.fr/renouee-du-japon-la-receper-au-lieu-de-se-lamenter/
Epilogue
Dans cet angle de présentation toujours à charge de la renouée, deux points nous inquiètent vraiment::
– philosophique:- l’acharnement sur les plantes et espèces baptisées « invasives » et cette complaisante inertie avec les plantes envahissantes peut-elle s’expliquer?
- le poids des mots peut échapper à son auteur qui se réfère à la nostalgie d’une pureté originelle perdue, puis à la menace de l’étranger. Les métaphores excessives employées à très mauvais escient dans le domaine technique, peuvent alimenter le terreau d’un discours politique latent sur l’éradication, l’exclusion voire l’extermination. Les propos sont identiques.
– commercial ;
1. Honni soit qui mal y pense… Et s’il s’agissait d’un lobbying des vendeurs de chimie ? Chercheraient-ils à nous préparer à admettre qu’il y a, comme en agriculture, de bonnes plantes et des plantes indignes à combattre(2)… avec des produits chimiques ?Toutes ces contre-vérités heureusement ne convainquent pas tout le monde, d’autant que la pertinence scientifique des métaphores n’est pas probante.
(1) si elle est encore proposée à la vente en pépinière (à vérifier), il y a bien un marché. Mais comme pour le bambou, on ne peut pas estimer un massif à la valeur du seul plant qui lui aurait donné naissance. Il convient de définir une valeur dégressive consensuelle/m² (tenant précisément compte de sa faculté colonisatrice).
(2) le verbe éradiquer, en dehors de la médecine, nous fait frissonner quand il s’adresse à un végétal: on lui préfère donc « combattre ».
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