Vous connaissez le bulldozer.
En mer, une technique de pêche, le chalutage de fond, équivaut au passge d’un bulldozer sur terre : rien n’est épargné, rien ne résiste.
la comparaison n’est pas du tout excessive à tel point que le bulldozer passe une bonne fois pour toutes , ou alors, assez exceptionnellement 30ans plus sur la même parcelle…
en mer, ni vu ni connu, le chalutier ou le chalutier voisin peut, parait-il, passer plusieurs fois au même endroit: ils appellent ça « la pêche durable ».
ne manquez pas cette édifiante vidéo:
http://www.youtube.com/watch?v=MrIa4JmrKoE&feature=related
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Lorient – Envoyée spéciale – Le Julien-Coléou est à quai pour une escale inhabituelle. Ce chalutier de 30 m va rester à Lorient, son port d’attache dans le Morbihan, le temps de régler quelques problèmes techniques. Puis il rejoindra les six autres unités de la Scapêche dans l’Atlantique Nord-Est. La relève des équipages se fait par avion : vol direct Lorient-Lochinver, un petit port à la pointe de l’Ecosse.
Comme le reste de la flottille de la Scapêche – de son vrai nom Société centrale des armements Mousquetaires à la pêche, filiale du groupement des Mousquetaires, connu pour son enseigne Intermarché –, ce bateau-là est la bête noire des mouvements de défense des océans. Il a le tort d’être équipé pour capturer des poissons d’eau profonde, très profonde : jusqu’à 1 500 m sous la surface, du côté du tombant du plateau continental, là où les fonds plongent vers les abysses.
« Le chalutage de fond figure parmi les méthodes de pêche les plus destructrices jamais inventées », accuse Greenpeace, qui réclame un moratoire international sur ce « véritable scandale écologique, fruit d’une aberration européenne » revenant à « engraisser les flottes industrielles ». Fin octobre, un équipage de Greenpeace s’est interposé devant un de ces chalutiers, à l’ouest de l’Irlande. Le 9 novembre, les opposants ont encerclé un autre navire de la Scapêche, au large de l’Ecosse. Un de leurs canots s’est pris dans un câble du chalut et a chaviré. L’armement s’apprête à déposer plainte.
INTERMARCHÉ ACHÈTE DES PAGES POUR PLAIDER SA CAUSE
De son côté, Intermarché achète des pages dans les journaux pour plaider sa cause et communiquer sur son approche d’« une pêche responsable ». Entre les uns et les autres, le dialogue de sourds est solidement établi.
A première vue, pourtant, le Julien-Coléou n’impressionne pas plus que ça. Sa passerelle n’aligne pas davantage d’écrans d’appareils électroniques que certains bateaux de pêche artisanale, à part peut-être une modeste caméra qui surveille le pont. Le directeur général de la Scapêche, Tristan Douard, et son adjoint, Jean-Pierre Le Visage, sont d’accord pour tout montrer : les cabines des huit hommes d’équipage, la petite cuisine, la machine à fabriquer la glace, l’atelier de mise en caisse du poisson. Plus bas, 170 m3 de cales peuvent contenir mille caisses de 25 kg, généralement pleines de lieu noir, baudroie, merlu, et d’espèces spécifiques des grands fonds : lingue bleue, sabre noir, grenadier. Les soutes de ses grands frères de 46 m de long sont 3,5 fois plus vastes.
Le chalut est, pour l’heure, paisiblement enroulé sur son treuil. C’est lui qui cristallise la colère des écologistes : ce lourd filet conique détruit les habitats marins en raclant les fonds et sa gueule, tenue grande ouverte par deux panneaux, emprisonne aussi des espèces non consommées et donc rejetées en mer, mortes. « Greenpeace prétend que son ouverture serait aussi large qu’un terrain de football. N’importe quoi ! Nos plus grands chaluts ont une surface cinquante fois inférieure », peste Jean-Pierre Le Visage. Un équipement de cette sorte permet de remonter, par exemple, de 100 à 200 kg d’espèces d’eau profonde et 500 kg de lotte.
« Certes, nous touchons les fonds, mais comme les pêcheurs à la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc : toujours aux mêmes endroits ! Nous chalutons les mêmes secteurs de plaines vaseuses et sableuses depuis vingt-cinq ans, se défend Tristan Douard. Nous évitons toutes les zones de coraux qui accrochent nos engins de pêche et sont, de toute façon, protégées. »
L’ENTREPRISE PAIE BIEN SES MARINS
Grosse consommation de gasoil, absence de rentabilité : le jeune directeur, habitué à ces griefs récurrents, a réponse à tout. Le carburant est plafonné à 25 % du chiffre d’affaires, assure-t-il. Et le résultat net de l’entreprise s’est élevé à 1,38 million d’euros en 2010. Ne pas gaspiller, ne pas compromettre l’abondance des stocks : tels sont, dit-il, les fondements d’une « pêche responsable », garante de l’avenir des professionnels de la mer.
La ressource ne baisse-t-elle pas ? « Notre problème n’est pas de trouver le poisson, mais de ne pas dépasser les quantités autorisées, insistent les deux hommes. Nos bateaux ne vont plus sur certaines zones parce qu’un coup de chalut y suffit à dépasser le quota de la semaine. Or, il nous faut étaler les captures dans le temps. » Toute une filière de commercialisation et de transformation doit pouvoir travailler à terre toute l’année.
« Nous allons moins loin et moins bas qu’il y a quelques années. Pour les grenadiers, on est remonté à – 1 100 m au lieu de – 1 500 m, un niveau où on attrapait aussi des petits », assure Tristan Douard. Du comité des pêches aux mareyeurs, impossible de trouver, à Lorient, des détracteurs à l’armement. L’entreprise paie bien ses marins et sa débarque est essentielle pour le port de pêche.
Les scientifiques de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) sont pourtant circonspects. « L’écosystème des profondeurs est moins productif, donc plus vulnérable, dit Pascal Lorance, biologiste à Nantes. Dans les années 2000, ce type de pêche n’était pas géré du tout, il y avait une forte surexploitation qui interdisait le renouvellement des stocks. Depuis, on observe quelques tendances favorables, pour la lingue bleue notamment. »
LES NAVIRES DE LA SCAPÊCHE SURVEILLÉS PAR SATELLITE
Alain Biseau, expert en halieutique à Lorient, explique, en substance, qu’il ne faudrait pas mettre toutes les espèces dans le même filet. « La pression a beaucoup baissé », note-t-il. Chacun souligne que l’action des écologistes reste utile.
La Scapêche met en avant son fonctionnement transparent. Le moindre de ses traits de pêche est analysé par l’Ifremer, avec lequel elle a signé un partenariat – elle a même embauché un de ses chercheurs. Ses navires sont en permanence surveillés par satellite, ils embarquent des observateurs, livrent dans des ports attitrés où ils sont contrôlés. Sa flotte compte actuellement dix-sept bateaux. Sur les huit qui visent les grands fonds, l’un navigue dans les mers australes et antarctiques et obtient un satisfecit de la part des associations pour avoir préféré la palangre au chalut.
« La pêche est critiquée pour ce qu’elle a été, pas pour ce qu’elle est, plaide Tristan Douard. A la fin des années 1970, c’était « open bar », l’âge d’or de la logique productiviste. En Bretagne du sud, des chalutiers de 68 m, il y en avait à la pelle. Trop : les rendements ont baissé, on est parti pêcher d’autres espèces, plus loin et plus profond. Les écologistes disent vrai sur ce point. Mais c’est fini. »
Depuis 2003, l’Union européenne a pris des mesures drastiques : les autorisations ont chuté de 60 % pour certaines espèces des grands fonds et ont entièrement disparu pour d’autres, comme l’empereur. Le nombre de bateaux français a été divisé par trois, les Ecossais ont perdu leur droit de pêche, puis les Irlandais.
La Scapêche, même en ayant réduit d’une bonne moitié la puissance de sa flotte, reste le principal des trois armements d’eau profonde basés en France. Elle ne souffre donc pas de la concurrence. Mais elle peut s’inquiéter d’une dégradation de son image qui pourrait finir par déplaire aux consommateurs.
Martine Valo
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