UN SOLOGNOT CHEZ KAFKA….. ou LES TRIBULATIONS d’un AMATEUR d’ÉTANG dans la JUNGLE ADMINISTRATIVE
ACTE 1 – Tout va très bien Madame la Marquise.
Propriétaire en Sologne, Hubert Forestier (le nom a été changé) déplore l’absence d’étang dans sa propriété, alors qu’ils abondent chez ses voisins. La raison ? Un relief un peu accentué (une fois n’est pas coutume en Sologne !) qui le conduirait à des travaux onéreux et à un étang trop profond.
En 2001, néanmoins il décide de créer une modeste pièce d’eau d’un hectare pour un coût acceptable. Et voilà notre Hubert qui trouve un entrepreneur et se lance dans les travaux. Il n’éprouve d’ailleurs guère de difficultés pour diriger l’entreprise car, dans sa vie professionnelle, il a déjà construit ou rénové une trentaine d’étangs et possède donc une certaine expérience.
L’étang est bientôt terminé, tout le monde est content, Hubert attend la pluie…
ACTE 2 – Un criminel retrouvé six ans après.
Six ans plus tard, fin 2007, notre (encore) heureux propriétaire reçoit de la direction départe-mentale de l’agriculture et de la forêt une lettre recommandée lui annonçant que, après examen approfondi des photos aériennes du département, les services de la DDAF ont constaté la présence dans sa propriété d’un plan d’eau n’ayant pas fait l’objet de déclaration au titre de la législation sur l’eau. En conséquence, et conformément à l’article R.214.1 du code de l’environnement, alinéas 3.2.3.0. et 3.2.4.0, il lui est enjoint de régulariser sa situation en déposant à la Préfecture, en trois exemplaires, « un dossier de déclaration qui devra inclure un document d’incidence sur l’environnement. Il est vivement conseillé d’en confier la réalisation à un bureau d’études. A défaut, une remise en état définitive des lieux devra être effectuée dans les meilleurs délais. »
Hubert est perplexe. S’agit-il d’un canular (de mauvais goût) ? Il ne peut croire que l’adminis-tration qui déplore en permanence l’insuffisance de ses moyens, emploie un fonctionnaire, sans doute spécialiste de Google Earth, pour passer au peigne fin les dernières photos aériennes du département afin d’y détecter les trous d’eau non déclarés, qui n’apparaissaient pas dans la série précédente !
Pris néanmoins d’un doute, il fait l’acquisition du dernier code de l’environnement (je dis bien le dernier, car ce précieux document que chacun d’entre nous est censé connaître est modifié cinq ou six fois par an) et constate en effet que, depuis une date qu’il ne pourrait déterminer, en achetant les 96 dernières versions du code, toute création d’étang doit faire l’objet d’une déclaration ou d’une autorisation selon que sa surface est inférieure ou supérieure à 3 hectares.
Son sang se glace quand il lit à l’article 216.8, alinéa 1/1, qu’il encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et de 18 000 euros d’amende ! Davantage que pour l’agression d’une vieille dame, d’autant que pour la vieille dame on n’exige même pas de la remettre dans son état primitif.
Après une nuit agitée, peuplée d’huissiers brandissant un code, de photos aériennes et de bulldozers, Hubert se réveille serein : il a trouvé.
En effet, pense-t’il, j’ai commis un acte écologiquement incorrect selon la réglementation actuelle, mais ce n’est qu’un délit (comme l’attaque d’une vieille dame) et, à ce titre, cette infraction est prescrite au bout de trois ans. Comme mon étang a été construit en 2001, et que nous sommes en 2007, mon odieux méfait a disparu, il n’existe plus !
Hubert décide donc de passer outre la mise en demeure de l’administration, et de ne pas donner suite à la lettre recommandée.
ACTE 3 – Un silence lourd de conséquence.
Quelques mois plus tard, l’administration, inquiète de ce silence, et voyant sans doute dans ce nouvel étang non autorisé ni déclaré la source du dérèglement climatique et de la fonte de la banquise, adresse une nouvelle lettre recommandée sommant Hubert de transmettre dans un délai de trois semaines un engagement écrit à déposer, avant un nouveau délai de cinq mois, un dossier de déclaration en trois exemplaires. Faute de cet engagement, le préfet sera dans l’obligation de signer un arrêté de mise en demeure dont le non-respect « constitue un délit passible des sanctions pénales prévues à l’article L.216-10 du code de l’environnement (deux ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende) ainsi que des sanctions administratives prévues à l’article L.216-1-1 du code de l’environnement (suppression des installations ou ouvrages)».
Diantre, se dit Hubert, voilà que le montant de l’amende est passé en quelques mois de 18 000 à 150 000 euros, mais sans doute n’avais-je pas la dernière version du code ? Je ne veux pas passer deux ans en prison pour mon étang, mais la prescription me permet de rester serein.
Mais, in cauda venenum, Hubert déchante vite à la lecture du dernier paragraphe de la lettre : « La création de ce plan d’eau sans déclaration préalable constitue une infraction pénale aujourd’hui prescrite. Toutefois, les suites administratives en vue de la régularisation de l’ouvrage ne peuvent faire l’objet d’une telle prescription.»
Voilà donc notre héros obligé de rentrer dans le droit chemin, sauf à risquer la remise en état des lieux à ses frais!
ACTE 4 – Une idée folle .
Il s’agit maintenant de s’enquérir de la toute dernière version du code de l’environnement et de rechercher un bureau d’études capable de réaliser le « document d’incidence sur l’environnement ». Et là, très mauvaise surprise : le coût de ce document est totalement irréaliste, à peine inférieur à celui de la construction de l’étang ! Mais il faut bien faire vivre toutes ces petites sociétés qui se sont créées récemment, portées par la vague écolo et soutenues par l’administration.
Germe alors dans l’esprit d’Hubert une idée folle : se substituer au bureau d’études et procéder lui-même à la réalisation de ce « document d’incidence » dont le titre pompeux cache évidemment, pense t-il, une étude impartiale sur les avantages et inconvénients de son étang. Les avantages sont nombreux (réserve d’eau en cas d’incendie, chasse, pêche, paysage, biotope etc. ..), quant aux inconvénients éventuels, il n’en trouve guère puisque l’étang est alimenté par un fossé entièrement situé chez lui et se déverse 500 mètres plus loin dans l’étang d’un voisin, qui lui-même se déverse dans la rivière après un cheminement de plus d’un kilomètre. Donc, pas de problème, il se sent tout à fait capable d’exposer tout seul cette affaire.
Reste que l’administration risque de retoquer systématiquement un dossier présenté par un simple quidam. Il faut donc qu’Hubert Forestier se transforme en bureau d’études.
Et c’est en faisant un scrabble avec sa belle-mère qu’il imagine la solution : en jouant avec les lettres, HUBERT pourrait devenir ERBUTH et FORESTIER ferait un très beau ROTIFERE ! Et voilà notre bureau d’études porté sur les fonds baptismaux : il s’appellera ERBUTH-ROTIFERE, et pour couronner le tout, Hubert rajoutera S.A., ce qui pourrait vouloir dire «Société Anonyme», mais aussi «Son Altesse»…
Et voilà ERBUTH-ROTIFERE S.A. qui se met au travail. Une recherche sur Internet lui permet de retrouver le décret n » 93-743 modifié, qui était applicable en 2001 au moment de la construction de l’étang, puis l’article R.214-1 du code de l’environnement, tout en sachant, ainsi que lui rappelait l’administration, que «ces références de textes sont issues de la réforme de la nomenclature entrée en vigueur au 1er octobre 2006 suite au décret n » 2006-881 du 17 juillet 2006 puis de la codification dans le code de l’environnement suite à la parution du décret n° 2007-397 du 22 mars 2007.»
C’est clair et intelligible, non ?
Et quelques mois plus tard, il adresse à l’administration, en trois exemplaires, un superbe document de plusieurs pages, assorti de cartes, croquis et photos, d’où il ressort que l’ouvrage n’a aucune incidence sur la ressource en eau de la Planète, qu’il joue le rôle de bassin d’orage en cas de pluie violente et qu’il peut s’avérer très utile en cas d’incendie sur la propriété. Enfin, il constitue désormais « un milieu humide remarquable par sa biodiversité végétale et animale».
(Son Altesse a en effet appris d’expérience que, quelque soit le sujet, si vous ne faites pas mention de «biodiversité» dans un document adressé à l’administration, vous n’avez guère de chance d’être crédible !)
ACTE 5 – Recalé pour incompétence.
Patatras ! Moins de dix jours après son envoi (ce qui prouve que l’administration peut parfois être diligente…), Hubert reçoit un courrier l’informant que « le dossier est très incomplet et n’est donc pas recevable ». C’est vrai, il a bien évoqué la «biodiversité », mais n’a pas fait mention de «développement durable ». Donc retoqué, d’autant que le document aurait dû contenir des informations réglementaires et techniques sur le dispositif de vidange et le trop plein qui n’y figuraient que de façon trop succincte. Manifestement, la S.A. ERBUTH-ROTIFERE n’était guère compétente et « … il semblerait opportun que vous fassiez appel à un bureau d’études spécialisé dans le domaine.»
Et l’administration donne trois mois à l’impétrant pour déposer un dossier « en bonne et due forme », tout en soulignant que l’ouvrage « devra être compatible avec le SDAGE ».
Diable, marmonne Hubert, vexé d’avoir adressé un dossier incomplet et d’avoir fait l’impasse sur un SDAGE dont il ignorait jusqu’à l’existence ! Tellement vexé, d’ailleurs, qu’il décide d’ignorer superbement le SDAGE et l’administration, et d’aller à la pêche dans son étang.
ACTE 6 – Mise en demeure et complétude.
Sept mois plus tard, nouvelle lettre recommandée, cette fois du préfet en personne, accompagnée d’un arrêté de mise en demeure enjoignant à Monsieur Hubert Forestier de déposer un nouveau dossier dans un délai de trois mois sous peine de sanctions pénales et administratives.
Malgré ce coup de massue, il ne peut s’empêcher d’éprouver un certain sentiment de fierté : c’est la première fois qu’un préfet s’intéresse à lui, modeste propriétaire qui trie ses ordures et paie régulièrement ses impôts !
Grâce à Internet, il trouve enfin un document indiquant le détail de toutes les dispositions devant figurer dans le dossier et Erbuth-Rotifère se met au travail après avoir enfin pris connaissance du SDAGE qui, comme chacun sait, est le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux. Et quelques jours avant la date limite, notre délinquant adresse au préfet en personne (en espérant, bien sûr, qu’il le lira) un superbe document de l5 pages assorti de croquis et de photos et à nouveau signé par S.A. ERBUTH-ROTIFERE, d’où il ressort que l’étang, réservoir de biodiversité, est compatible avec le SDAGE. Ouf !
Patatras, dix jours plus tard, nouvelle lettre du préfet indiquant que le dossier a bien été enregistré mais que « dans le cadre de son instruction, des observations sur la complétude de celui-ci ont été formulées ». Complétude ? Vous avez dit complétude ? Son Altesse se précipite sur son dictionnaire, pour découvrir que « complétude « n’y figure pas. Alors, qu’est ce que ce fonctionnaire a-t-il bien voulu dire ? Peut-être était-ce en rapport avec la fameuse « bravitude », mais comment savoir ? Heureusement, plus loin, la lettre invite Hubert à « compléter le document afin de pouvoir le déclarer complet » (sic) et rappelle que les travaux de construction de l’étang (désormais terminés depuis huit ans) ne pourront démarrer que deux mois après réception de ces pièces complémentaires et sous réserve de l’accord de l’administration… Et pour la première fois, est jointe la liste des pièces à fournir en cas de déclaration de construction d’un étang. Il ressort de cette longue liste que S.A. ERBUTH-ROTIFERE a omis d’indiquer « la ou les rubriques de la nomenclature dans lesquelles doivent être rangés les travaux envisagés ».
Bon prince, Hubert obtempère et, dans le délai prescrit, adresse sa complétude au préfet en lui indiquant toutefois que ce terme est inconnu du dictionnaire. Et voilà donc les termes exacts de cette indication, unique mais essentielle, dont l’absence bloquait tout :
Ce dossier est établi suivant les dispositions de l’article R.214-32 du code de l’environnement et est déposé au titre des rubriques 3.2.3.0-2 et 3.2.4.0-2 de l’article R.214-l de ce code, à savoir :
3.2.3.0-2 Plans d’eau permanents dont la superficie est supérieure à 0,1 ha mais inférieure à 3 ha. (déclaration)
3.2.4.0-2 Autres vidanges de plans d’eau dont la superficie est supérieure à 0,1 ha., hors opération de chômage des voies navigables, hors piscicultures mentionnées à l’article L.431-6 du code de l’environnement, hors plans d’eau mentionnés à l’article L.431-7 du même code. (déclaration)
Et quelques jours plus tard, reçoit un » récépissé de déclaration « de trois pages dont copie est transmise au Maire, à la DDAF, à la DRIRE, à la DDE-SUADT (?), au BRGM et à l’Agence de l’Eau.
EPILOGUE
Ainsi se termine l’aventure d’Hubert Forestier, alias Erbuth Rotifère. Elle aura duré huit ans et mobilisé l’intervention de 9 fonctionnaires de haut niveau.
Aux dernières nouvelles, le ministère mettrait au point un drone équipé d’un radar qui survolerait inlassablement chaque département pour y détecter les infractions à l’article R. 214-1 du code de l’environnement, alinéas 3.2.3.0 et 3.2.4.0. Grâce au croisement des données avec le logiciel du cadastre, la constatation de l’infraction et le nom du délinquant seraient instantanément transmises à un centre automatisé qui éditerait aussitôt l’avis de contravention et l’adresserait au propriétaire coupable !
Comme disait le Président Pompidou à son premier ministre de l’époque : « ARRÊTEZ D’EMMERDER LES FRANCAIS »
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