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Responsabilité sanitaire

    Boucler la boucle de la responsabilité sanitaire

     Une histoire :

    Je tire cette histoire d’un vieux documentaire (probablement vu sur la chaîne Planète quand j’avais encore la télé) sur les sous-marins nucléaires russes et américains. Je n’ai pas réussi à retrouver la référence. Il se peut fort que ma mémoire ait un peu romancé l’épisode.

    Ça se passe dans les années cinquante, au moment où les États-Unis conçoivent la première génération de sous-marins nucléaires. Un jour, on soulève la question de savoir s’il faut souder ou boulonner le couvercle du cœur du réacteur nucléaire. Les ingénieurs assurent qu’ils ont réglé les soucis techniques rencontrés par le passé avec la technologie joint + boulons, et que donc le boulonnage est devenu aussi sûr que la soudure, tout en étant nettement moins onéreux, en particulier concernant la maintenance.

    La décision finale est entre les mains d’une poignée d’amiraux et d’experts, assis autour d’une grande table en acajou, dans une salle de conférence avec un planisphère en noir et blanc au fond (je crois que ma mémoire emprunte l’image à Hollywood, mais passons). Le grand patron de la marine demande aux experts s’ils sont prêts à jurer que les boulons ne présentent aucun risque. Ils se disent absolument certains qu’il n’y a aucune différence avec le couvercle soudé. Le grand chef fait remarquer à tout le monde qu’il s’agit d’une décision importante, que la santé et les vies de dizaines de marins sont en jeu. Il demande alors à ceux qui préconisent la solution boulonnée de lever la main, et il se dessine une large majorité en faveur de cette solution.

    Alors le grand patron sort de sa sacoche en cuir des chemises en kraft dont il tire des documents et formulaires estampillés de sceaux militaires variés. Il les étale devant lui sur la table, et prend la parole:
    – Amiral « Machin », votre fils est actuellement lieutenant sur l’USS « Bidule ». Je me suis arrangé pour qu’il soit capitaine de vaisseau sur le USS « Le-Prochain-Sous-Marin-Nucléaire » dès qu’il voguera
    – Amiral « Untel », votre frère est capitaine sur l’USS « Tartempion ». J’ai ici l’accord écrit de ses supérieurs pour le laisser transférer sur l’USS « Le-Prochain-Sous-Marin-Nucléaire ».
    – Monsieur « Le-Grand-Expert », vos deux neveux font leur service comme matelots sur l’USS « Nom-D-un-Vénérable-Ancien-Amiral ». J’ai leur acceptation écrite pour leur promotion comme sous-officiers sur l’USS « Le-Prochain-Sous-Marin-Nucléaire » .
    – et ainsi de suite, pour autant de participants du tour de table que le grand patron ait pu atteindre avec ses relations visiblement étendues.

     – Messieurs, nous allons faire une pause café, et je suggère de revoter ensuite, pour que nous soyions absolument certains que nous prenions la meilleure décision.

    Après la pause, les mains semblent rester collées à la table…., et la solution « soudée » est finalement choisie.

    Un peu de pratique :

    Transférons ce procédé à une situation plus contemporaine : celle des composés chimiques dans l’alimentation et dans l’air. Le trio industrie, expertise (payée par l’industrie) et politique (lobbyée par l’industrie) produit, signe et valide les documents qui donnent les doses, niveaux, ou concentrations acceptables pour les différents produits chimiques (fongicides dans le sol, herbicides dans les nappes phréatiques, insecticides dans les matériaux de construction, antibiotiques dans le lait, OGM dans le bio, etc.)

    Comme nous serons pris pour de dangereux activistes si nous mettons en doute leur jugement éclairé, prenons-les au mot.

       Monsieur «Compagnie-Chimique-Philanthropique»,  Monsieur « Expert-Biochimiste »,  Monsieur«Agent-De-Certification-Indépendant», certifiez-vous que la liste que nous avons ici entre nos mains reflète réellement des doses inoffensives pour tous les composés mentionnés, y compris avec les bonnes marges d’incertitude sur les effets d’accumulation, de cocktail, de dégradation/combinaison, les conséquences à long terme sur la biodiversité et le patrimoine génétique des espèces animales et végétales ?
    – nous le certifions.
    – êtes-vous certains que vous ne ressentez pas la moindre gêne quand vous savez que ces produits se retrouvent dans l’air que nous respirons, dans la nourriture que nous mangeons, dans l’eau que nous buvons ?
    – aucune.
    – vous n’aurez donc aucune objection à ce qu’un comité citoyen installe des diffuseurs pour tous ces composés dans vos chambres, dans les berceaux de vos enfants, dans vos réfrigérateurs, dans l’eau de vos robinets, dans vos bureaux, dans vos voitures ?

    Nous avons ici un rapport signé par des experts indépendants qui certifient que ces diffuseurs ont une probabilité extrêmement faible de diffuser plus que la dose reconnue ’sans danger’. Et pour rendre la chose encore plus sûre pour vous et les vôtres, nous avons réduit cette dose de 5%. Nous vous sommes très reconnaissants pour cet acte citoyen, qui montre votre grande responsabilité, et prouve à tous que vous ne mettez pas l’intérêt financier de quelques uns avant la santé de tous les autres.

     Épilogue :

    Cette méthode peut aussi être utilisée pour les relais GSM, les doses de radioactivité acceptables, les normes des incinérateurs, et de façon générale, pour toutes les situations où quelqu’un prend une responsabilité pour les autres sans en porter les conséquences personnellement. Ceux qui disent qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs (comprendre : le principe de précaution nuit à la croissance du PIB), qu’ils soient les œufs, et on en reparle.

     Kristen    L’Arpent Nourricier