Etangs: projet de loi de finance 2018

Nous reproduisons in extenso un article de l'URCIAP (Union régionale du centre des intérêts aquatiques et piscicoles), adhérente à l'UNSAAEB.

Les pisciculteurs et propriétaires d’étangs découvrent avec stupeur le sort fiscal qui leur est réservé dans le projet de loi de fince 2018. Si l’imposition des revenus du patrimoine sera abaissée à 30 %, flat tax qui inclut impôt sur le revenu, prélèvements sociaux et plus-values, les propriétaires d’étangs, au contraire, verront la taxation de leurs infimes revenus, augmenter à 62,2 %, soit plus du double, celle des plus-values s’accroitre à 36,2 % et ils seront soumis à un nouvel impôt : l’IFI. Ces trois prélèvements se cumuleront : 62,2 % + 36,2 % + 0,5 % à 1,5 % d’IFI, alors que le propriétaire d’actions acquittera 30 % en tout.

Or, les propriétaires d’étangs payent déjà plusieurs prélèvements sur le patrimoine dont aucun n’est acquitté par un détenteur d’actions : la TFNB, annuelle, la TCA, annuelle, les DMTO déjà augmentés à 5,80 % de la valeur du bien depuis 2014, les droits et frais annexes lors des transactions, etc.

La reforme prévue dans le PLF pour 2018 consiste donc, d’une part, à taxer le plus ce qui rapporte le moins et, d’autre part, à augmenter le prélèvement sur des biens qui payaient déjà, avant cette réforme, plus de taxes que les autres biens.

L’instauration de l’IFI est particulièrement critiquable. Je vous rappelle que si certaines forêts payeront l’IFI sur 25 % de leur valeur et certaines terres agricoles sur 50 % de leur valeur, les étangs et zones humides l’acquitteront sur 100 % de leur valeur. Ils seront donc encore plus imposés que les autres biens non bâtis. En outre, le revenu des étangs est tellement faible qu’elle ne permettra pas d’acquitter l’IFI. Par exemple, pour un étang d’1 ha valant 50 000 € et dont la pêche rapporte 400 € une taxation à 62,2 % représentera 249 €, un IFI à 0,5 %, 250 €, la TFNB et la TCA environ 50 €, les DMTO et droits annexes amortis sur 20 ans, 225 €. Le déficit annuel, uniquement dû aux impôts (sans prise en compte des assurances, etc.), sera donc de -374 €. En outre, certains étangs ne sont pêchés que tous les deux ans voire moins fréquemment encore. Néanmoins, leurs propriétaires devront sortir, chaque année, plusieurs flux financiers en impôts : celui correspondant à la TFNB, celui correspondant à la TCA, celui correspondant à l’IFI (sans compter les assurances et autres dépenses récurrentes). Avec quelles rentrées pourront-ils acquitter ces taxes ?

Cette réforme nous parait critiquable de tous les points de vue :

  • Du point de vue psychologique, elle consiste à nier la pisciculture. L’esprit de la réforme, tel qu’exposé au plus haut niveau de l’Etat, est d’orienter l’investissement vers l’économie productive et de pénaliser la rente immobilière. La pisciculture, comme la sylviculture, l’agriculture ou l’élevage, toutes activités économiques, n’est donc pas considérée comme une activité productive. Les pisciculteurs qui se donnent tant de mal pour poursuivre leur activité, dans des conditions, chaque année, plus difficiles, sont outrés de constater que leur travail n’est pas considéré comme une activité économique.
  • Du point de vue économique, la pisciculture demande des investissements lourds (entretien et consolidation des digues, faucardage, désenvasement, etc.). Dans de nombreuses régions d’étangs (Brenne, Dombes, Forez, Sologne, etc.), elle représente une des rares activités économiques persistantes.
  • Du point de vue de la « Solidarité entre les territoires », appellation d’un ministère du gouvernement, cette réforme va pénaliser davantage encore des régions rurales, déjà en difficulté.
  • Du point de vue alimentaire et sanitaire, la pisciculture contribue à fournir des poissons de qualité. Or, les médecins ne cessent de recommander de renforcer la part des poissons dans l’alimentation. Dès lors, pourquoi renchérir les poissons français ? Pour mieux faciliter l’importation de poissons étrangers, au détriment de l’emploi français ?
  • Du point de vue social, la pêche de loisirs est une activité o combien populaire dans notre pays et depuis si longtemps. Elle l’est dans les deux sens du terme : par la quantité de personnes s’y adonnant et par le fait que ce sont souvent des catégories populaires qui la pratiquent.
  • Du point de vue administratif, la gestion des étangs a été rendue de plus en plus difficile par des formalités croissantes depuis une trentaine d’années. Les démarches administratives à accomplir pour pouvoir pêcher ou vidanger un étang puis le remplir se sont complexifiées à un point exagéré. Les lois sur l’eau se succèdent, ajoutant chacune une couche de prescriptions nouvelles et entrainant une instabilité du droit très préjudiciable à notre activité économique. Cette charge administrative croissante empiète sur le travail des pisciculteurs. Des contraintes accrues de toutes sortes se sont aussi accumulées sur les étangs : braconnage, zonages de protection, espèces exotiques envahissantes, prolifération d’espèces piscivores protégées, etc. La fiscalité n’a pas pris en compte ces nouvelles contraintes, alors qu’elle aurait dû le faire. Les politiques de protection d’espèces telles que les cormorans, les hérons, les grèbes, les loutres, etc. que les pisciculteurs comprennent, entrainent néanmoins des prédations répétées et excessives sur la faune piscicole, diminuant encore la production des étangs. Or, bien que ces politiques aient été imposées par l’État, les pisciculteurs qui la subissent ne sont en rien indemnisés de leurs conséquences négatives pour eux. Les agriculteurs, eux, qui ne payent ni TFNB, ni IFI, ni bien d’autres taxes, le sont bien des dégâts de gibier. Pourquoi cette discrimination ?
  • Du point de vue artistique, les étangs ont servi de motif à certaines des plus grandes oeuvres d’art. Faut-il rappeler Monet, Tchaïkovski, Lamartine, Corot, Gauguin, Theodore Rousseau, Klee, Klimt, Sisley, Cézanne, Vlaminck, Matisse, Millet, Constable, etc. ? Autant dire que les étangs participent aussi bien du patrimoine culturel que du patrimoine économique. Comment donc expliquer une sur taxation qui va faire disparaitre bon nombre d’entre eux ?
  • Du point de vue juridique, le principe de participation qui figure dans la loi n’a pas été respecté puisque cette réforme a été conçue sans aucune concertation avec les pisciculteurs ni avec les propriétaires d’étangs ni, semble-t-il avec les autres professions rurales. Elle est contraire à plusieurs autres dispositions législatives (principe de nonrégression du droit de l’Environnement, objectif d’absence de perte nette de biodiversité, principe de solidarité écologique, caractère d’intérêt général de la protection, restauration, remise en état, mise en valeur, gestion, des milieux naturels et donc des étangs, principe de prévention, principe de complémentarité entre l’environnement et l’aquaculture). (Voir notamment art L 110-1 du Code de l’environnement).
  • Du point de vue de l’environnement, cette nouvelle fiscalité apparait comme une atteinte grave envers les milieux naturels et la biodiversité. Il est reconnu, de façon unanime, par les scientifiques, l’administration, le doit que les zones humides et les étangs abritent une biodiversité exceptionnelle et sont l’un des milieux naturels les plus importants sur terre. Il y a quelque ironie à estimer que les étangs ne sont pas des biens productifs, alors même que les zones humides sont considérées comme les milieux les plus productifs de la planète. Pourquoi traiter de façon aussi désinvolte un milieu naturel d’une telle importance ? Ils jouent également un rôle d’épuration naturelle, en filtrant les pollutions. Ils permettent aussi un rôle de rétention des crues, limitant les inondations et évitant bien des dommages.
  • Du point de vue du changement climatique, ils stockent du carbone et contribuent donc à atténuer le changement climatique. Ce faisant, ils permettent aussi aux entreprises françaises, aux secteurs du bâtiment, des transports, etc. de réduire moins vite leurs émissions de GES, facilitant ainsi leur compétitivité. Ils favorisent des micros-climats. Ils jouent et joueront un rôle important en termes d’atténuation des vagues de chaleur et canicules qui vont se multiplier. Ils constituent des stocks d’eau douce de qualité qui seront de plus en plus essentiels, puisque le changement climatique va se traduire par un stress hydrique accru voire des épisodes de sécheresse répétés. Les agriculteurs qui recourent de plus en plus à l’irrigation sont inquiets de cette situation. Voyant le risque d’incendies et de pénuries estivales d’eau remonter vers le nord du pays, les préfets et les pompiers, quant à eux, répertorient la localisation des étangs qui pourraient être utiles dans ce type de situations.

Les étangs sont également le lieu d’aménités récréatives, le plus souvent pratiquées gratuitement. 

En outre, la pisciculture extensive est reconnue comme étant un excellent mode d’entretien et de gestion des étangs. D’abord, car elle évite l’atterrissement et le comblement de l’étang, préservant ainsi sa valeur écologique. Ensuite, car elle est naturelle, ne nécessitant pas de produits chimiques. Également, car elle est compatible avec les autres usages. Elle est donc l’exemple même d’une activité économique au coeur du développement durable et de la transition écologique et solidaire dont un ministère du gouvernement porte le nom.

En un mot, les étangs délivrent gratuitement des biens et services écosystémiques, c’està- dire des externalités environnementales positives. Or, non seulement, les propriétaires d’étangs ne sont pas rémunérés pour ces services écosystémiques, non seulement, ils ne sont pas indemnisés pour les servitudes d’environnement qu’on leur impose, non seulement leur activité ne bénéficie quasiment d’aucun soutien public, mais, en outre, on voudrait maintenant les taxer davantage que tous les autres biens et à un niveau tel que l’activité de pisciculture extensive sera systématiquement en rendement négatif.

Les conséquences, très prévisibles, seront dommageables tant d’un point de vue économique, social, qu’environnemental. Nombre de propriétaires vont abandonner la pisciculture, assécher les étangs et les mettre en culture ou les boiser. Ils diminueront ainsi immédiatement la pression fiscale. En effet, ce faisant, ils ne seront plus imposés à l’IFI que sur 25 % ou 50 % de la valeur de la parcelle et non 100 %. Les DMTG seront aussi réduits de 50 % ou 75 %. S’ils reboisent, la parcelle sera exonérée de TFNB pendant 10,30 ou 50 ans, selon les essences. En matière d’IR, ils passeront au forfait forestier, moins couteux qu’une taxation à 62,2 %. L’impôt de plus-value sera aussi réduit (abattement spécifique pour les forets). Cette évolution sera bien évidemment dommageable à la production piscicole. Elle le sera aussi aux aménités récréatives, au paysage, à la rétention des crues, au filtrage des pollutions, au stockage de l’eau, à la biodiversité. La disparition d’étangs au profit de la populiculture ou de la culture de maïs conduira à un appauvrissement considérable du milieu naturel.

  • Du point de vue de la comparaison avec les pêcheurs en mer, une inégalité de traitement fiscale étonnante existe avec les pisciculteurs en eau douce. Les premiers pêchent une ressource naturelle qu’ils n’ont ni payée ni élevée, dans un bien commun et ont puisé dans les stocks halieutiques à tel point que les trois quarts sont surexploités. Ils ne payent ni TFB, ni TCA, ni plus-values, ni DMTG, ni DMTO, ni IFI, ni taxe sur les carburants, ni redevance d’accès à une ressource commune, ni travaux d’entretien du milieu dans lequel ils pêchent et sont très subventionnés. Les seconds pêchent, de façon rationnelle et précautionneuse, des poissons qu’ils ont élevés, dans des étangs privés et sont parvenus à maintenir la ressource en bon état. Ils payent les alevins de rempoissonnement et des travaux d’entretien couteux des étangs. Et ils acquittent une TFNB une TCA, des DMTO, des DMTG, un impôt de plus-values, un IFI et ne bénéficient pas d’exonérations fiscales ou de subventions.
  • Du point de vue de la cohérence des politiques publiques, il est permis de s’étonner de cette mesure.
    Une très grande proportion des étangs français est soumise à différents régimes de protection en droit interne (réserves naturelles, arrêtés de biotope, sites classés, sites inscrits, loi littorale, PNR, etc.). Pourquoi traiter de la même manière les étangs protégés et les autres ?

Les étangs et zones humides sont, depuis plusieurs décennies, une priorité majeure de la politique de protection de la biodiversité au niveau international.

Dès 1971 un traité international spécifique : la Convention de RAMSAR visait leur protection. La France, partie à cette convention, a désigné 46 sites à ce titre et continue à en designer régulièrement. Plusieurs étangs français figurent également sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’Humanité, établie par l’UNESCO. Les étangs font également partie des « types d’habitats naturels prioritaires » figurant à l’annexe I de la Directive UE Habitats de 1992. Ils constituent donc une proportion importante des sites du réseau Natura 2000 expressément désignés par la France (toute la Sologne par exemple), en vertu des Directives UE Oiseaux et Habitats. Comment expliquer que la France confère un statut d’exception à nombre de ses étangs et les désigne comme des sites d’importance internationale pour, ensuite, les surtaxer et, ainsi, les menacer de disparition ? Pourquoi négliger à ce point le droit international en la matière ?

En 1992, le rapport de l’Instance d’évaluation des politiques publiques, présidée par le Préfet Paul Bernard, avait proposé de qualifier les zones humides et donc les étangs d’« infrastructures naturelles ». En général, une infrastructure est considérée comme un avantage pour l’économie et, de ce fait, des régimes fiscaux incitatifs à son entretien, à sa gestion, à son maintien en bon état sont institués et certainement pas des dispositifs conduisant à la faire disparaitre.

Pour toutes ces raisons, les mesures fiscales prévues dans le PLF pour 2018 concernant les milieux naturels et, notamment les étangs et zones humides nous stupéfient. Elles nous semblent en contradiction compète avec les engagements de la France au titre de plusieurs conventions internationales et Directives européennes et avec son propre droit interne.

Nous pensons qu’il est urgent et indispensable de ramener la taxation des revenus des étangs et zones humides au taux normal de 30 % et d’exempter d’IFI ces infrastructures naturelles. Ce ne serait que simple justice, eu égard à leur faible rentabilité et aux services écosystémiques nombreux et variés qu’ils rendent gratuitement à la société. 

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