Existence légale des ouvrages: la DDT tente d'inverser la charge de la preuve!

 

Plusieurs adhérents et sympathisants de l’association Hydrauxois en Côte d’Or ont reçu en 2013  un courrier de la DDT 21 leur demandant en substance de «préciser la situation administrative» d’un ouvrage hydraulique et son «existence légale», cela sous 30 jours, sous peine de voir l’ouvrage considéré comme «non autorisé».

Cette démarche regrettable nous semble illégitime. Quelques explications juridiques et historiques sont nécessaires pour bien le comprendre.

Rappel du régime général : droit d’eau, règlement d’eau
On appelle droit d'eau « fondé en titre » la capacité d'un propriétaire d'ouvrage hydraulique d'exploiter la force motrice de l'eau sans autorisation administrative. Le propriétaire peut être un particulier, une personne morale de droit privé, une collectivité territoriale ou l'Etat. Il existe deux régimes différents :
• les moulins des cours d'eau domaniaux, navigables et flottables, présents avant l'Edit de Moulins de 1566 ;
• les moulins des cours d'eau non domaniaux présents avant l'abolition des privilège féodaux (4 août 1789) ou aliénés pendant la Révolution (vente des biens nationaux).
Pour l'une et l'autre éventualité, le propriétaire doit attester l'existence de son bien avant les dates de référence (1566, 1789), et cela par tout moyen : cartes anciennes, mention du site dans les documents d'archives ou les actes administratifs.

Un droit fondé en titre (ou "ayant une existence légale") est attaché à un site, donc assimilé à un droit immobilier. Toutefois, ce droit a pu être réglementé ultérieurement par l'administration, suite à un litige ou à une augmentation de puissance ; mais cette réglementation n'annule pas le droit fondé en titre, qui perdure pour la consistance (puissance) initiale ; lorsque celle dernière n'est pas connue, l'état actuel est réputé fondé en titre par de très nombreuses jurisprudences.
Après la première loi sur l'eau de 1790, tout ouvrage hydraulique à créer devait disposer d'une autorisation délivrée par l' État (ordonnance royale, impériale, présidentielle ou préfectorale). A l'inverse d'un droit fondé en titre avant la Révolution, cette autorisation était nominative et tout changement de propriétaire devait être entériné par l'administration.
Un moulin du XVIe siècle peut donc très bien avoir bénéficié d'un règlement d'eau actualisé au XIXe ou au XXe siècle. A noter, car cela provoque souvent des confusions : le droit d’eau fondé en titre n’est pas un document (il découle simplement de l’existence du bien), alors que le règlement d’eau est bel et bien un document administratif précisant les conditions et règles d’usage de l’eau au droit d’un ouvrage.
La loi du 16 octobre 1919 (transposée récemment dans le code de l'Énergie) a réglementé l'usage de l'énergie hydraulique en France. Cette loi (complétée par plusieurs décrets d'application et modifiée par les diverses lois sur l'eau ultérieures) précise qu'il existe trois cas exceptionnels d'autorisation d'utiliser l'énergie hydraulique à durée illimitée :
• pour les usines autorisées avant 1919 et d'une puissance inférieure à 150 kW (art. 18),
• pour les usines fondées en titre (ou ayant une existence légale) (art. 29),
• pour les usines faisant partie d'entreprises déclarées d'utilité publique (art. 29).
Les moulins et usines disposant d’un règlement d’eau antérieur à 1919 et inférieur à 150 kW de puissance hydraulique sont donc dispensés de la nécessité de solliciter le renouvellement de leur autorisation administrative. Leur statut se rapproche de celui des droits fondés en titre.
En conséquence de ces diverses évolutions juridiques, l’article L 214-6 alinéa 2 du Code de l’environnement voté dans le cadre de la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 énonce : "II.-Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre".

La circulaire 2010 est claire: l’administration doit suivre sans limite de temps les autorisations qu’elle a délivrées
De ce qui précède, il résulte que tous les ouvrages fondés en titre et tous les ouvrages régulièrement autorisés par règlement d’eau sont considérés comme administrativement autorisés.
Jean-Marie Pingault, conseiller juridique de la FFAM,  a adressé dès 2010 au Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie une note d’information démontrant que tous les moulins ont été, à un moment ou un autre, reconnus par l’Etat français. (Télécharger ce document, pdf).
Le Ministère de l’Ecologie lui-même, dans la Circulaire du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre par l’Etat et ses établissements publics d’un plan d’actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau (DEVO0930186C),  a reconnu que l’interprétation de l’article 214-6 du Code de l’environnement suppose que l’Etat assume préalablement un suivi réglementaire de chaque ouvrage. Cette continuité juridique est évidemment le B-A-ba de l’exercice de l’autorité par la puissance publique. 

« Le II de cet article dispose que tout ce qui a été autorisé avant la loi sur l’eau de 1992, au titre d’une législation sur l’eau précédente, est considéré comme autorisé au titre de la loi de 1992 (donc des articles L. 214-1 à 6 CE).Cette disposition sous-entend que l’administration est en possession d’un justificatif et des éléments d’information minimum sur l’ouvrage (caractéristiques, emplacement, usage...), il n’est donc pas nécessaire, à la différence des ouvrages relevant du III de ce même article, que le titulaire en 'déclare l’existence'. La loi considère que l’administration est censée connaître, et suivre sans limite dans le temps les autorisations qu’elle délivre. »

Il en résulte une conclusion simple :
Tout propriétaire sommé de prouver le caractère administrativement autorisé de son ouvrage serait habilité à renvoyer l’Administration (ici la DDT 21) à ses propres responsabilités.
En d’autres termes, c’est à l’Administration de prouver qu’un ouvrage n’a pas d’existence administrative (dérivant d’un droit d’eau ou règlement d’eau) ou qu’il l'a perdu en vertu des motifs reconnus par le droit : changement d’usage définitif entraînant la disparition des ouvrages hydrauliques, état de ruine de ces derniers (dans des conditions très restrictives), etc.

Conciliation… vigilante
Dans un souci de conciliation, Hydrauxois conseille à ses adhérents de fournir les informations historiques qu’ils possèdent afin d’aider la DDT 21 (ou les DDT 89 et 58 si le cas se présente) à mettre à jour les dossiers de leurs ouvrages. Et nous sommes à disposition pour partager nos propres ressources documentaires à cette fin.
Nous aimerions sortir une bonne fois pour toutes du climat actuel de suspicion, voire de harcèlement, dont souffrent trop souvent les moulins et usines hydrauliques. Et comme notre action l’a démontré depuis un an, nous sommes prêts pour cela à mener un travail fondé sur la responsabilisation des propriétaires d’ouvrage, sur l’information à propos des obligations nouvelles imposées par la loi ou à propos des aménagements optionnels qui permettraient d’améliorer facilement l’état des cours d’eau.

Toutefois, nous montrerons la plus extrême vigilance sur les points suivants :

  • les tentatives abusives de casser un droit d’eau ou un règlement d’eau pour état de ruine ou de non-entretien, ou pour indisponibilité des archives dans les dossiers que l’Etat est censé conserver,
  • les tentatives également abusives de sortir du régime "perpétuel" du droit d'eau avant 1789 et du règlement d'eau avant 1919 pour imposer une autorisation limitée dans le temps,
  • l’imposition par pression opaque (par exemple blocage d’un dossier) d’un aménagement non obligatoire (par exemple passe à poissons sur une rivière non classée sans que l'administration n'en démontre la nécessité impérative),
  • l’obligation de procéder à des aménagements écologiques en passant par des bureaux d’études coûteux sans que les services de l’Etat aient au préalable précisé la nature exacte de l’impact de l’ouvrage et proposé ce qui leur semble une solution proportionnée.

Et, comme cela nous a été rapporté, dans certains départements :

  • quand tous les indices ayant présidé à la définition de la consistance initiale existent sur le terrain, des exigences de l’Administration sur des nouvelles cotes à mesurer au XXIème siècle alors que celles d’origine prévalent, sont dépourvues de sens et n’ont aucune valeur légale. Par contre, à défaut d’archives et quand l’ouvrage a souffert d’un défaut d’entretien, il convient en croisant des indices disponibles sur le terrain, d’estimer ce que devait être cette consistance initiale. C’est à l’usinier à mener ces investigations et à les faire valider par l’Administration,
  •  l’acharnement sur un ouvrage au motif qu’il serait « sans usage », faisant fi qu’il puisse être remis en fonction dans l’esprit de la transition énergétique,
  • le harcèlement et les menaces (comme en font état de multiples courriers), le chantage à la subvention, la présentation de devis exorbitants au propriétaire pour le convaincre de céder son seuil pour l’euro symbolique à une Fédération de Pêche ou à une Collectivité… non pas pour le restaurer ou pour le mettre en conformité, mais à la seule fin de l’araser et d’abroger le droit d’eau. Cette démarche déloyale, très en vogue, apparait inadmissible.

 Hydrauxois mène un très gros travail de fond sur les rivières Bourguignonnes, afin de permettre la réussite des réformes visant au bon état chimique et écologique. Mais « dans le domaine environnemental et de la transition énergétique, nous ne progresserons réellement que dans un climat de confiance, de réciprocité et de pragmatisme ».

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