Rétablir la continuité des cours d'eau en acquérant les droits d'eau fondés en titre

Cette publication (ici) de A. Berne nous inspire, en termes extrêmement modérés, la plus grande défiance à bien des égards : ce point de vue ne s’appuie sur aucun besoin exprimé et tenterait de susciter un marché de dupes: des fonds publics pour acquérir par tous les moyens un bien qui n'était pas à vendre et à l'issue duquel le vendeur enregistrerait un énorme préjudice.
Ces éléments caractérisent l'abus de position dominante et l'abus de faiblesse si on étudie les tenants et aboutissants d'un peu plus près.

«Pour araser les seuils facilement, il suffit d’acquérir le droit d’eau » Ce message subliminal, non seulement est un formidable pied de nez au Code de l’Environnement puisqu’il suffirait de payer pour faire fi des règles administratives, mais il soulève un point philosophique et devra répondre d’une approche économique calamiteuse.

Les postulats initiaux : un échafaudage branlant   
1) l’acquisition d’un droit d’eau n’est pas suffisante en soi pour rétablir la continuité d’un cours d’eau.
2) non, le rétablissement de la continuité d’un cours d’eau ne constitue pas un « impératif écologique vital ». L’auteur ne peut apporter aucune preuve puisque cette assertion est erronée. Même remarque sur les enjeux majeurs…des centaines d’enjeux majeurs depuis 1960 ; aussitôt énoncés, aussitôt oubliés. Allons plus loin : quand on voit ce que nous infligeons aux baleines, aux éléphants, à l’ours polaire et chez nous aux abeilles…en quoi le poisson  mériterait-il plus d’égards et un autre sort surtout pour en faire une proie ? Comment serait-il « indispensable » alors qu’il s’élève facilement au contraire des espèces en voie d’extinction?
3) « La suppression des obstacles est le seul moyen d’y parvenir ». Cette affirmation défie le sens de l’observation, de la mémoire …et dénie l’intérêt des passes à poissons. A quoi bon cette obligation légale d’en construire ?

De ces postulats, l’auteur concocte une méthode d’estimation des droits fondés en titre, ignorant les nombreux seuils qui n’ont pas ce statut. Cela sous-entend que la valeur d’un site non équipé ne recèle aucune valeur d’avenir? Qu’un chêne de 40 ans en forêt de Tronçais n’aurait aucune valeur? (*).

Une dénégation de l’impact social
Occulté complètement cet engouement général pour les seuils, plans d’eau, étangs et ce fort lien social. Témoin ces réactions d’oppositions quasi unanimes sur le terrain.

L’aveu philosophique discrédite la démarche
La relecture lancinante de la révolution du 4 Août 1789 et ce regret affiché d’imaginer que puisse encore perdurer ce privilège semble insupportable à l’auteur… alors que la liste des privilèges acquis depuis nous semblent quelquefois outranciers et beaucoup plus confortables. D’autant que cette perception aujourd’hui fut à l’époque une impérieuse nécessité : les moulins constituaient le tissu industriel. En outre, sans farine, les révolutionnaires auraient crevé de faim. « Laisser l’anarchie détruire les moulins c’eût été remplacer la Révolution par la famine » DALLOZ 1852.   Et les moulins contribuèrent à la prospérité du pays jusqu’au 20ème siècle. Heureusement qu’un hommage leur est rendu lors des journées du patrimoine et de la journée des moulins…c’est bien là le minimum qu’on leur doive. On ne peut obliger quiconque à cultiver cette mémoire et avoir la passion des moulins. Il n’empêche que cet acharnement philosophique discrédite d’emblée l’alibi mathématique.

Une approche économique inexistante

-coût de l’opération d’effacement :
Dans l’analyse de l’acheteur, on admet que le concept de R.O.I.(Return on investment)  ne soit pas un facteur de prise de décision. Il conviendrait  a minima d’appliquer la méthode ACA (Analyse-Coûts-Avantages) ? Quel(s) avantage(s) réel(s) pour justifier le prix de revient total de l’opération : indemnité + études diverses + travaux d’effacement= …? €

 -des éléments oubliés dans le calcul de l’indemnité :
Fonctionnalités économiques et touristiques du seuil : L’auteur néglige les autres fonctionnalités à estimer. Les espèces amphihalines propulsées au somment de la pyramide des priorités, peuvent être anéanties par une pollution brutale et décimées par la surpêche. Leurs jours seraient comptés. On se demande comment cette thématique des services écosystémiques  serait devenue prioritaire au point de supplanter les activités économiques et sociales ?

Calcul du préjudice immobilier :

Ce qui confère la valeur du site est le qualificatif « moulin ». Supprimer ce label et procédons à l’estimation foncière. Le bâti « rétrogadé » va supporter une  moins-value immobilière considérable qui, dans la moins mauvaise hypothèse  atteint 50%. Tentez de vendre une voiture sans carte grise : sa valeur correspond au poids de la ferraille. Dans ce cas, on peut calculer la moins-value grâce au marché. La moins-value immobilière,  pour un moulin qui n’en est plus un, en l’absence de réel marché, pourra atteindre 80%.

Une démarche déloyale

Preuve d’une démarche outrancière et déloyale: il suffirait tout simplement que la Collectivité acquière l’ensemble du bien foncier quand il se présente à la vente ou de le préempter au prix du marché. Dans ce cas, effectivement le nouveau propriétaire est libre de gérer son bien comme il l’entend. Il peut, uniquement dans ce cas et à bon droit, détruire le seuil de son moulin, après avoir déposé un dossier de demande d’autorisation à la préfecture conformément au Code de l’environnement.

Sauf utilisation spécifique, le bâti deviendra une lourde charge pour la Collectivité. Les contribuables apprécieront.

En résumé :

Cette tentative de spoliation s'appuie sur une méthode expertale grossière, très incomplète au seul dessein de proposer une offre de prix basse et à géométrie variable.

La formule commentée:

V= montant de l’indemnité. Nous ne sommes pas d’accord sur le contenu édulcoré de V. Nous l’appellerons V1 et prendrons en compte d’autres éléments dans l’estimation de la valeur: V2 et V3

V1  correspond au chiffre d’affaires toutes charges déduites, c’est-à-dire au revenu net,

V2= valeur de convenance. valeur qualifiée de convenance eu égard précisément à son statut administratif plus favorable qu’un édifice non fondé en titre,

V3= dépréciation ou moins-value immobilière du site.

V (valeur du droit fondé en titre)= V1+V2+V3

Suivent dans l’article des digressions sur la valeur B alors qu’elle est transparente et relativement simple à cerner; il suffit, pour l’exemple d’effectuer plusieurs simulations avec B= 25 000 € puis B=50 000 € etc.. mais peu importe la valeur de B : il est bien préférable pour le propriétaire de la sous-estimer  et d’être plutôt attentif sur ce qui suit :
Le plus important concerne l’interaction entre le TIR (taux interne de rentabilité) et (n) =période considérée.

Le TIR est établi par tâtonnement en recherchant la valeur du taux qui permet d’égaliser le résultat d’une formule d’escompte des recettes prévisibles et d’une formule d’indexation des capitaux produits. C’est donc le taux pour lequel le bénéfice actualisé, s’appuyant sur des valeurs absolues, est nul. Pour un porteur de projet qui prendra en compte plusieurs facteurs, un taux interne de rentabilité supérieur au taux d’actualisation choisi lui permettra d’investir dans l’opération. Le critère du TIR est un critère relatif qui traduit la rentabilité d’un euro investit. A la Communauté de Communes, non rompue à ces concepts, de calculer son TIR. Pour séduire l’acquéreur, on lui fait miroiter un t% de 4% voire plus. Parfait ; mais c’est une supercherie pour le propriétaire qui voit son indemnité diminuer au fur et à mesure que le t% augmente. Donc prudence. Un t% de la Banque de France de 0,71% (arrondi à 0,7% pour simplifier nos calculs) lui est bien plus favorable.

(n) : le bât commence à blesser très fort. Comment ose-t-on le proposer une indemnité calculée sur 20ans alors que le droit à estimer perdure depuis 223ans, qu’il ne s’éteint pas, même par le non-usage ? Il faut impérativement décorréler cette durée confiscatoire de la durée d’amortissement d’une turbine. Une proposition d’indemnité calculée sur 20ans équivaut à une tentative de spoliation. Rien d’autre.
L’équité serait de calculer sur 223ans… la décence serait de retenir consensuellement 100ans. Mais faire porter les calculs d’intérêts composés sur une très longue période est dénué de sens. De l’aveu de l’auteur, les résultats sont astronomiques. Nous avons au moins un point d’accord. Le résultat astronomique, même incomplet, n’est cependant pas illogique. Seule la méthodologie est illégitime.

Conclusion :
S’il n’y a pas abus de faiblesse, il nous semble assez peu probable qu’un propriétaire de moulin, jouissant de son entière faculté d’analyse, soit assez déraisonnable pour vendre et voir disparaître sous ses yeux ce qui constitue plus qu’un accessoire, l’essence même de son moulin : son seuil. Rétrogradé au rang de simple maison dans un fond de vallée, ne voyant le soleil qu’entre 10h30 et 16h15.
Cette approche intellectuelle pour détourner le droit, qui prétend s’appuyer sur une méthode expertale édulcorée, mise au service d’une philosophie surannée, n’apporte rien en terme sociétal et plombe les finances collectives.
Un dossier qui se référerait à une telle publication aurait bien peu de chances d’obtenir gain de cause lors d’un contentieux judiciaire. In fine, le contribuable pourrait ne pas apprécier de devoir payer ce combat idéologique d’arrière-garde sous couvert d’écologie, quand on lui demande de se serrer la ceinture.

Ph.Benoist

(*)
– l’indemnité, en cas de suppression ou de diminution de la force motrice, correspond au droit effectivement utilise ou à la puissance susceptible d’être utilisée étant donne l’état des installations,
– le fait de ne pas utiliser son droit et de laisser ses installations à l’abandon comporte, sinon la perte de ce droit, du moins la perte de son indemnisation ».

(**) Dans (n) années, le site va recouvrer toute sa valeur car le seuil sera reconstruit, par nécessité…avec peut-être des subventions. Il pourrait être intéressant d’investir dans un moulin sans seuil acquis à vil prix. Les haies arrachées entre 1960 et 1980 avec subventions sont replantées depuis ~1995 avec subventions… sans atteindre les mêmes résultats, loin s’en faut. Personne n’a calculé la moins-value écologique considérable ni la valeur des services environnementaux non-rendus.

Calculs :
t% variables sur 20, 50 et 100ans.   t% 2012 de la Banque de France=0.71%.   Pour simplifier nous avons pris 0.70%.
B provient du potentiel hydro en kW, c’est-à-dire du débit de la rivière (le module Q) x hauteur de chute (H) x 9,81  soit    B kW=Q x H x 9,81
Si le revenu B, par exemple, est de 25.000€/an, nous obtenons selon le taux:

——————sur 20ans———sur 50ans————-sur 100ans—

t%— 0,7%—–468 318,50—–1 058 976,10———1 806 134,50€

t%— 2,0%—–416 961,50——–801 301,90———1 099 008,00€     

t%— 4,0%—–353 348,50——-558 536,80———–637 130,00€

———————————————————————————

Le maniement de cette formule sérieuse conduit à un différentiel possible des deux résultats extrêmes sur V1 de 1 452 786€ (un million quatre cent cinquante-deux mille sept cent quatre-vingt-six euros)… de quoi s’entourer d’expert et d’avocat.

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