Dévoiement des enquêtes publiques : la "democracywashing"

Nous reproduisons des extraits d'une lettre d'ACNAT (Action Nature et Territoire en Languedoc-Roussillon) à Ségolène Royal concernant un projet éolien à Montpellier. Les termes peuvent s’appliquer mot à mot aux enquêtes publiques liées aux projets en lien avec le Code de l'environnement.

La manière dont sont conduites ces consultations publiques obligatoires constitue une aubaine extraordinaire pour ficeler juridiquement un dossier pré-emballé. Peu importe son contenu : les projets n’ont jamais "d’impact défavorable à l’environnement" et au sujet de la politique de l’eau, le 21ème siècle dénie l’ingénierie hydraulique des vingt siècles précédents (1).

Les aménagements des cours d’eau sont subitement tombés en disgrâce, puis stigmatisés….l’avis des premiers concernés riverains des cours d’eau, moulins, producteurs hydroélectriques, pisciculteurs, n'est jamais considéré!

Il n’est tenu compte que de l’avis des pêcheurs qui prônent les espèces piscicoles…pour mieux les pêcher.

 

…/… les demandes par les associations de prolongation de l'enquête publique au-delà du mois réglementaire, de même que les demandes de réunions publiques, ont été balayées par le commissaire sur des motifs scandaleux. Il a même été difficile d'accéder au dossier d'enquête publique, qui "n'existait pas en format numérique" : qui peut le croire ?

Dans son rapport, le Commissaire Enquêteur, Léon Brunengo, s'est montré encore plus imperméable aux remarques manifestées par le public que son collègue confondant son rôle de synthèse avec l'expression de ses opinions personnelles ; il a finalement remis un avis positif avec deux petites réserves qui ne concernent que les eaux usées et la desserte. Notre critique de l'étude d'impact bâclée et de ses lacunes évidentes a été balayée au motif que celle-ci fait 77 pages et que l'Autorité Environnementale a émis un avis tacite. Ce manque de considération est inacceptable pour les membres de notre association, constituée notamment de naturalistes professionnels et expérimentés, et au vu de l'étude environnementale qui restera un cas d'école des dérives de l'expertise environnementale.

Nous considérons que cette conclusion du commissaire, ingénieur des travaux publics retraité, n'a aucune crédibilité et révèle un manque de compétences (et/ou d'intérêt) pour la question environnementale. Par ailleurs nous estimons que l'avis de l'autorité environnementale, sur un projet de cette envergure, ne peut être donné de manière tacite. C'est pourquoi nous avons interrogé les services de la préfecture et de la DREAL à ce sujet. A ce jour, nous n'avons pas obtenu d'explication…/… nous tenons à alerter les pouvoirs publics sur le mépris que cette attitude semble traduire vis-à-vis de la participation citoyenne. Il nous paraît contraire à la convention d'Aarhus, aux engagements de l'Etat, et propre à détériorer sérieusement le climat ambiant sur les thématiques environnementales. Si l’introduction d’éléments participatifs dans la prise de décision administrative est pour nous un élément positif, et si nous considérions jusqu'à maintenant comme un devoir de nous exprimer dans le cadre de ces consultations, il devient évident que de plus en plus de citoyens engagés perçoivent ces signes d'ouvertures comme des leurres, visant plus à faire accepter l’unilatéralité de décisions déjà prises, qu'à les infléchir ou les modérer en quoi que ce soit. Nous sommes là bien loin, en somme, d'un processus de décision concertée.

La procédure d'enquête publique comporte des défauts majeurs :

  • les consultations sont bien trop tardives dans la chronologie des projets, l'état d'avancement du projet devenant alors un argument de fait pour sa justification ;
  • le saucissonnage de grands projets permet de diluer la participation du public en de multiples enquêtes, et empêche de se prononcer sur le fond,
  • les délais sont ridicules pour ingurgiter des dossiers techniques atteignant parfois plusieurs milliers de pages,
  • l'accessibilité aux documents reste dans la plupart des cas très difficile et archaïque (persistance du format papier alors que les dossiers numériques existent forcément),
  • il n'y a aucune évaluation de l'impartialité des commissaires enquêteurs sur le long terme (pas d'accès public et centralisé aux rapports archivés, pas d'observatoire), alors qu'ils sont en capacité d'exercer un filtrage extrêmement réducteur.

Dans un tel contexte, nous nous posons la question de nos futures participations à des enquêtes publiques (pertinence, perte de temps, sentiment d'être manipulés). Nous pensons que le democracy-washing ne peut qu'amener à générer des réponses de plus en plus radicales (procédures judiciaires à n'en plus finir, occupations, violences et dérapages)…/…contrairement à la déclaration du Président de la République, nous ne voyons sur notre territoire que des signes de dégradation dans les processus de consultation du public. La pression du développement étant de plus en plus forte sur des territoires qui sont limités, les conflits environnementaux ne peuvent que croître. Aussi il est essentiel que les outils qui permettent aujourd'hui aux citoyens de faire entendre leur voix ne soient pas détournés. Ils devraient au contraire être sérieusement améliorés afin que les avis exprimés et arguments avancés soient réellement pris en compte.

Nous réitérons notre alerte concernant les deux projets évoqués. Les avis positifs émis par les commissaires enquêteurs chargés des deux enquêtes respectives nous paraissent abusifs et caricaturaux…

 

  • (1) imaginez en 2015 construire le Pont du Gard ou le canal du midi ? Nonobstant le plébiscite populaire et le classement au patrimoine mondial dont jouissent ces ouvrages remarquables, le Code de l’environnement aurait vite rappelé les Romains et Pierre-Paul Riquet a de plus modestes prétentions.

 

Ce billet évoque  le sujet des enquêtes publiques et interroge les espèces piscicoles:   https://cedepa.wordpress.com/2011/11/26/continuite-ecologique/

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